SPECTACLE

Être (fragments)

Jérôme Hankins

avec les acteurs nouveaux de l’École des Actes : Moussa, Mamadou Wagué, Mamadou
Fofana, Fodié, Demba Camara, Abou Diallo, Baba, Maf Traore, Téclaire Lombi,
Jelena Rosić, Louis Wahnich, Joséphine Denis, Hassan Sow, Aboubacar Sidibe

DU 28 JUIN AU 1 JUILLET 2023

MER 28, JEU 29 & VEN 30 À 19H30 À LA COMMUNE
SAM 1ER À 18H À L’ÉCOLE DES ACTES

DURÉE 1H40

GRANDE SALLE DE LA COMMUNE ET ÉCOLE DES ACTES

Remerciements à l’OPH d’Aubervilliers

© Extrait de "Eleven Blowups #8" (2006) de Sophie Ristelhueber

ÊTRE PRÊT — C’EST TOUT

Un soir, après la répétition. Les Acteurs Nouveaux m’avaient donné envie de revoir l’Œdipe Roi de Pasolini. Dans le film, la monstrueuse Sphynge qui piège et tue tout le monde… est bien peu monstrueuse, petit bonhomme masqué accroupi au fond d’une cuvette dans la roche. Sans que la créature ait le temps de soumettre sa fameuse énigme, le jeune vagabond se rue sur elle : Je ne veux pas savoir, je ne veux pas entendre, je vais te précipiter dans l’abîme. Réponse : L’abîme où tu veux me jeter est au fond de toi.

Le lendemain, j’ai donné une consigne. Au fond de toi il y a un gouffre. Et au fond de ce gouffre il y a une question. Une question que tu veux poser au monde.

Tout a commencé avec Everyman : la pièce date de 1520 environ et réinvente le théâtre pour le confier à Shakespeare et à ses contemporains. La fable ? — l’Être Humain vit sans sans penser, sans prévoir. La mort ? Jamais. Plus tard. Tous sur Amazon. Or, justement, Dieu, exaspéré par toute cette fièvre acheteuse, dépêche Mort pour sommer Être Humain d’aller desser le bilan de sa vie. Car, dans l’idéologie chrétienne, le Seigneur occupe son éternité à réclamer des contrôles fiscaux. Mais comment chiffrer toute une vie en une heure ? Car c’est tout le temps qui reste. Il faut trouver de l’aide, l’Être Humain appelle donc Amitié, Famille, Cousin, Argent (un tas)… Tous l’abandonnent — sauf ce qui lui reste d’Humain… Au bord de la tombe, il panique, en appelle à Conscience, Force, Beauté, Intelligence, et Cinq-Sens aussi — pour bien voir où il met les pieds. Mais au dernier moment, ces compagnons le désertent à leur tour.

Reste pourtant encore une entité qui veut bien l’accompagner jusqu’au bord de la tombe… On vous le donne en mille.

La vitalité de cette pièce, dont nous avons d’abord joué, dans un éclat de rire général, des extraits en Assemblée à l’École des Actes au Fort d’Aubervilliers, fait mentir la réputation qu’on inflige couramment aux « ignares bouseux » du Moyen Âge. Ceux-ci ont en fait conçu des moyens très sophistiqués pour dire, et penser le monde. Dans leurs Moralités (qui sont tout sauf moralisatrices), tout peut parler et faire jeu dans un tour de passe-passe où le moindre mot, le moindre geste, même le plus humble, trouve à déployer sa grâce humaine. Une parabole. Comme origine de ce mot, certains évoquent le mouvement physique qui consiste à se jeter de côté. C’est-à-dire pratiquer un écart, un contournement, emprunter une voie de traverse. Et c’est bien là la stratégie imaginée par Marie-José Malis et son équipe : tout autour de la Commune, dans la ville et au cœur du théâtre même s’ouvrent depuis des années des chemins buissonniers où vacillent sans jamais s’éteindre des fictions-idées.

Car nos Acteurs Nouveaux ont l’art du théâtre buissonnier. Pour reprendre les mots de Michel Agier, il y a dans le regard de nos concitoyens « transmigrants », d’une part une intelligence du monde, et d’autre part une « loyauté ambiguë », doucement ironique envers le modèle culturel dominant. « Toujours un peu décentré, l’étranger occupe donc une position de connaissance en prenant la place de l’observateur, sur les bords et les limites, mais elle est risquée ». C’est ce courage du risque que j’ai vu pendant les répétitions. Hamlet dit qu’il faut être prêt et c’est tout. Nos acteurs/trices savent tirer les ficelles de leur vie. Toujours prêts à pratiquer l’art de l’observation poétique. De telle sorte que nous sommes, nous, étourdis dans le labyrinthe de l’étrangéité. Afin de devenir ensemble des spectateurs-acteurs qui commencent quand finit le spectacle, et ne commencent que pour l’achever, dans la vie (pour parodier Althusser).

Sur notre route, nous avons rencontré d’autres grands voyageurs : Prométhée, Œdipe, Antigone, le Christ — surtout le Roi Lear et sa cohorte de fous qui, lorsque tout est englouti par le chaos, cherchent témérairement « l’humain, rien de plus ». Les Acteurs Nouveaux enregistrent et affrontent ces incidents de parcours, ils/elles font devant nous un bout de chemin de la vie. De quoi est faite, à quoi tient une vie humaine ? Combien ça coûte de vivre ? Ils/elles sont nos Sphynges qui font le voyage au fond du gouffre et dans l’espace d’une représentation marchent sur quatre pieds, puis deux, puis trois. Ils/elles nous suggèrent des outils inespérés pour regarder les choses de biais et révéler les complexités cachées. En anamorphose.

Ce soir, vous assisterez à la déroute où nous a plongé notre détour. Ce soir, notre modeste et anarchique Parlement (qui parle… et ment) veut célébrer l’intérêt que l’Humain porte à autrui, cet intérêt que nous avons, dès notre petite enfance, soif de prêter. Avec la satisfaction de nous sentir capables de prendre part à la transformation du monde. En donnant corps et voix à: Vie, Mort, Solidarité, Égoïsme, Marché, Courage, OQTF… et Virus, Hôpital, Grenade de Désencerclement, Football, SDF et Inflation.

À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas si et quand ces instances apparaîtront. Vous verrez.

Ce que je sais, c’est que chacun.e va parler, c’est fatal. Dans une liberté infinie. Un « Grand Jeu des idées » permettant à tout un chacun de réinventer la vie comme s’il/elle la mettait au monde.

Jérôme Hankins

mise en scène Jérôme Hankins
assistant mise en scène Imad Benkhalfallah
dramaturgie Mattei Moreno
avec les acteurs nouveaux de l’École des Actes : Moussa, Mamadou Wagué, Mamadou
Fofana, Fodié, Demba Camara, Abou Diallo, Baba, Maf Traore, Téclaire Lombi,
Jelena Rosić, Louis Wahnich, Joséphine Denis, Hassan Sow, Aboubacar Sidibe

costumes Agnès Marillier
régisseur de scène, réalisation du décor David Gondal

avec le soutien de l’équipe technique de La Commune

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