SPECTACLE

Le Paradoxe de John

Philippe Quesne

07.11 – 16.11.2025

Première vendredi 7 novembre

Vendredi 7,
mercredi 12, jeudi 13
et vendredi 14 novembre
à 20h

Samedi 8 et samedi 15 novembre à 18h

Dimanche 9 et 16 novembre à 16h

Durée estimée : 1h20

PLATEAU 2

avec le Festival d’Automne à Paris

©Julia Zastava

Philippe Quesne prolonge ses rêveries sur la place de l’art dans notre vie quotidienne avec une nouvelle création, où inventions plastiques et musicales répondent aux circonvolutions de poèmes originaux de Laura Vazquez.

Le Paradoxe de John ravive le souvenir d’une des premières pièces du metteur en scène, composant avec elle un diptyque, à dix-huit ans d’intervalle. En 2007, L’Effet de Serge campait un être solitaire qui, dans son appartement, organisait chaque dimanche des spectacles pour ses amis. Ses miniatures – une à trois minutes – dessinaient un imaginaire poétique et drôle mais aussi un territoire étrange où coexistaient la solitude de l’inventeur mélancolique et l’amitié de son cercle de spectateurs patients. De cette tension entre quête obsessionnelle et besoin de partage émergent aujourd’hui les péripéties d’un personnage incarné par Marc Susini, affairé à l’aménagement d’une galerie d’art, entouré de ses convives. De l’effet au paradoxe, subsiste l’esprit d’un théâtre de proximité avec le public, témoin d’une composition polyphonique pour humains et non humains. Les textes de la poète et romancière Laura Vazquez en habitent le livret, prolongement d’une collaboration entamée avec Fantasmagoria et Le Jardin des Délices.

Conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne

Avec Isabelle Angotti, Céleste Brunnquell, Marc Susini et Veronika Vasilyeva-Rije

Textes originaux Laura Vazquez

Costumes Anna Carraud

Collaboration technique François Boulet, Marc Chevillon

Production Alice Merer / Vivarium Studio

Coproduction La Commune – Centre dramatique national d’Aubervilliers, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris, Théâtre Garonne scène européenne – Toulouse, Maillon Théâtre de Strasbourg – scène européenne, Maison Saint-Gervais – Genève, Kampnagel – Hamburg. Avec le soutien de la Région Île-de-France.

La compagnie est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Île-de-France

Le Paradoxe de John est présenté en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris.

Interview avec Philippe Quesne
Par Charlotte Imbault
Août 2025

Dans quel contexte est né Le Paradoxe de John ?

C’est un contexte riche de plusieurs envies. Je voulais créer avec l’acteur Marc Susini que je côtoie depuis une dizaine d’années. Il a suivi le travail du Vivarium Studio et j’ai souvent vu des films dans lesquels il joue, notamment ceux du génial réalisateur Albert Serra : Pacifiction (2022) où Il est incroyable sous les traits de l’amiral de l’armée française ou La mort de Louis XIV (2016). Il y a des figures comme ça qui donnent envie immédiatement d’inventer des pièces. Tout comme L’Effet de Serge (2003) est lié à la présence particulière de Gaëtan Vourc’h, cet acteur qui a accompagné plus de vingt ans mes spectacles. Avec Le Paradoxe de John, je souhaitais aussi prolonger avec Laura Vazquez la collaboration sur l’écriture que l’on a commencée depuis Fantasmagoria (2022), puis poursuivie dans Le Jardin des Délices (2023). Notre mode de travail a varié. Alors que pour Fantasmagoria, je lui ai demandé si je pouvais utiliser des fragments de poèmes existants, issus de son recueil Vous êtes de moins en moins réels, on a ensuite entamé un jeu de dialogue sur nos travaux respectifs. Pour Le Jardin des Délices, elle m’a envoyé des textes originaux pendant le processus, et pour Le Paradoxe de John, j’ai reçu les textes bien en amont des répétitions. Ce sont des pages à expérimenter dans les premières répétitions, des textes chapitrés aux formes très éparses.

Quelle a été la teneur de vos échanges pour cette création avant que Laura Vazquez écrive les textes ?

On a pas mal parlé des pièces précédentes et de comment Le Paradoxe de John vient s’inscrire dans le répertoire du Vivarium Studio. Je lui ai décrit L’Effet de Serge car je voulais utiliser la même scénographie. Littéralement, je réactive le décor de l’appartement avec ses murs simples, sa porte et sa baie vitrée. C’est une scénographie naturaliste très rudimentaire que j’avais pensée pour trouver un cadrage aux actions minimalistes de Serge. J’aime bien l’histoire un peu exagérée que l’un des personnages de mon théâtre, Serge, confie son lieu dix-huit ans plus tard à un autre.

J’ai dit à Laura : « Il se trame quelque chose autour de Marc Susini. » J’imagine le personnage de Marc comme un érudit littéraire ou un galeriste-amateur qui organiserait une Biennale à la maison. J’ai envie de ce théâtre de proximité et de retrouver la sensation d’un théâtre d’objets qui convoque l’absurde et la poésie. J’ai beaucoup parlé à Laura de Paul Nougé qui est un surréaliste belge, assez méconnu en France, et que j’adore. Dès mes études aux Arts déco, j’avais une passion pour cet auteur qui a beaucoup joué avec l’écriture, les slogans, la poésie graphique et qui a activé le mouvement surréaliste belge en fédérant beaucoup d’écrits autour de la revue Les lèvres nues. Paul Nougé est aussi un photographe qui travaille la relation des corps et des objets dans des situations extrêmement simples. Il y a notamment une image que j’ai en tête : La Naissance de l’objet (1929). C’est hyper minimal comme surréalisme. Le titre annonce la tension qui s’établit entre un angle de mur et des gens qui le regardent. J’ai aussi montré à Laura des textes de théâtre d’objets de Paul Nougé qu’il a publiés dans Les lèvres nues où il fait parler une cuillère et une tasse par exemple. Pour Le Paradoxe, je redonne vie à des sculptures ou à des objets que j’ai utilisés dans le passé. J’aime bien la question de faire durer. Avec cette pièce, on quitte les vastes paysages de la neige de La Mélancolie (2008), du désert du Jardin des Délices, du marécage du Swamp Club (2013), ou des astéroïdes dépressifs de Cosmic Drama (2022) pour retrouver une cellule, celle des objets dans un intérieur, susceptible d’être transformée en cabinet de curiosités.

Comment les textes de Laura Vazquez s’intègrent-ils au travail ?

J’aborde les textes par fragments, comme des matériaux. C’est presque comme de décider de travailler avec du bois ou de la fourrure. Peut-être qu’ils seront dits, peut-être qu’ils seront entendus à la radio, peut-être qu’ils seront lus en direct, peut-être qu’ils seront projetés ou imprimés, car les textes de Laura sont magnifiques à lire. Peut-être qu’ils seront lus dans une autre langue ou accompagnés de musique… Les lectures de poèmes de Laura sont comme des sculptures. Dans Le Jardin des Délices, certains personnages de la pièce disent des passages – un très beau passage sur les roches, les mollusques, l’origine de l’humanité, le devenir –, et d’autres défilent sur une installation lumineuse située sur le côté, comme un contrepoint décalé du jeu. Pour Le Paradoxe de John, nous verrons ce qui surgira, en testant en répétitions.

Comment les objets « se trament » autour de Marc Susini ?

Marc est fascinant, on dirait un acteur d’une autre époque. Il a une grande délicatesse des manipulations, de même que la poésie de son phrasé est inqualifiable. Il a quelque chose de naturellement surréaliste en lui. Quand je vois Marc, je pense à Paul Nougé, ce poète belge et à ce que j’avais travaillé à l’époque avec Gaëtan Vourc’h. Il respecte le temps de faire les choses comme celui d’ouvrir un livre ou de mettre un sucre dans une tasse. Je ne sais pas comment dire, ce sont des acteurs qui ont un sens des objets. D’ailleurs les objets, dans certains de mes spectacles, deviennent des personnes auxquelles je m’attache autant qu’à certains acteurs.

Poursuivre L’Effet de Serge, c’est aussi montrer que le temps ne passe pas tant que ça dans l’art. Le Paradoxe de John, est une réponse à une vitesse du monde qui veut toujours accélérer, toujours trouver de la nouveauté. J’ai plutôt l’impression de continuer à avoir toujours les mêmes obsessions et d’y revenir. Un certain absurde, chargé d’une tension mélancolique, comme chez Fischli and Weiss, Samuel Beckett ou Robert Filliou.

L’absurdité se travaille-t-elle ?

Non. C’est un compagnon, l’absurdité. Spécialement en ce moment, j’ai besoin d’échapper à une fable qui pourrait se résumer en une phrase. La pièce ne sera pas l’histoire d’un personnage nommé John.

Que recouvre le prénom John ?  

Je ne sais pas si c’est le prénom de quelqu’un ou d’un objet, ou des airs de musiques de Cage, ou si c’est quelqu’un qui ne viendra pas… comme Godot ! Souvent, les titres sont des enquêtes et j’ai envie de les questionner plus tard. Pour cette création, je convoquerai sans doute des musiques de John Cage, un héros de la réconciliation humain/non-humain et de la puissance poétique des matériaux.

Pour revenir aux matériaux et au texte : au regard des autres pièces du répertoire de la compagnie, quels endroits spécifiques le texte peut-il occuper dans Le Paradoxe de John ?

Quand j’ai commencé dans les années 2000 à faire du théâtre, j’avais envie de faire un théâtre plus contemplatif, en prenant le temps d’observer les interprètes, en réaction aux théâtres des époques précédentes qui parlaient énormément, qui nous regardaient frontalement ou qui avaient souvent un sens à nous imposer. Dans mon travail, la place des textes, se trouve en expérimentant au plateau, avec les interprètes et les répétitions, mais je ne fais pas du théâtre sans texte. Les mots trouvent souvent leur place, indissociables des situations de jeu dans l’espace, ils se mêlent au sons, aux mélodies, parfois guident la fable, parfois sont plus poétiques, ou nourris de références du passé, parfois j’ai besoin de simples échanges entre les interprètes. Cela dépend des spectacles.

Aujourd’hui, avec cette nouvelle pièce et avec la matière qu’a écrit Laura Vasquez, je pense que je peux encore repenser jusqu’où je peux emmener le langage, de jouer par montage kaleïdoscopique les différentes formes qu’il peut prendre. Que le langage ne soit pas uniquement un matériau poétique ou textuel. De faire que la langue soit reçue dans toute sa plasticité. Je veux pousser la question de comment on écrit pour le théâtre. C’est d’ailleurs aussi le fil rouge du Pavillon de La Commune.

Cela permet de faire le lien avec la programmation du Pavillon. Il me semble que plusieurs fils y sont à l’œuvre : à la fois la question de l’écriture au théâtre, mais aussi celui de la représentation en posant la question de qu’est-ce que représenter veut dire. Et un troisième, celui qui permet aux œuvres de se déplier dans différents espaces. Je pense aux « Vivarium Studio présente » qui permettent de montrer, avant chaque représentation du Paradoxe de John, d’autres matières qui s’y réfèrent, de loin ou de près, et ce, dans le plateau situé juste en face. 

Le Pavillon de La Commune d’Aubervilliers permet un temps qui s’ouvre aux connivences, aux liens entre les pièces avec cette question en tête : où vont les écritures au théâtre ? La pièce Hauts Cris (2005) de Vincent Dupont, qui est programmée la semaine qui suit Le Paradoxe de John, a été pour moi une pièce marquante à sa création. Cette scénographie d’un appartement, très beckettienne, le jeu avec des citations littéraires poétiques, fragmentaires, le travail sonore passionnant de ce que le théâtre peut générer comme conscience : quelque chose touche à la condition existentielle. En présentant une pièce vingt ans après sa création, il y a l’idée de s’interroger sur ce que l’on appelle la contemporanéité. En invitant Tim Etchells à montrer sa dernière création alors que Forced Entertainment vient de fêter ses quarante ans de carrière, le Pavillon permet de continuer de jouer sur le temps, et de poser la question : où en sont les gens chercheurs de théâtre ? Avec Forced Entertainment, on tire les fils du théâtre qui réfléchit à sa représentation, à sa fabrication, à l’audace et à l’absurde. Dans ce Pavillon, on retrouvera aussi, trois jeunes auteurices qui sont passionné·es par la performance et les écritures au sens large. Gabriel Gauthier, passé par les Beaux-Arts de Paris, a publié deux ouvrages : Space, un roman qui interroge l’écriture, et La Vallée du Test qui est un recueil de poésie dont il prépare une version scénique avec la claveciniste Marie-Pierre Brébant. Il y a Laura Tinard qui a publié un premier roman J’ai perdu mon roman, une épopée très drôle d’un texte dont elle est dépossédée mais qui finalement l’entraîne à parler de l’écriture. Elle a une manière d’incarner et performer ses propres textes que je trouve passionnante. La troisième autrice, c’est Grace Seri qui est en train d’écrire un roman à partir de sa performance Poupée N. Elle a encore un autre rapport au texte qui touche à comment le corps se met à écrire. Elle est par ailleurs actrice et performeuse pour différents chorégraphes. L’espace ouvert par le Pavillon permet l’exploration « des écritures » qui est un vaste paysage.

On a toujours voulu faire des catégories. Or les écritures permettent de rassembler justement. On écrit en littérature, mais on écrit aussi en danse, en performance, au cinéma. On écrit en musique ou au théâtre. Le silence fait aussi partie de l’écriture.

Philippe Quesne est metteur en scène, scénographe et plasticien.

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