150 ans de la Commune de Paris

« Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune sera à jamais célébré comme l’avant-coureur d’une société nouvelle » Karl Marx

Pour accompagner cet anniversaire de la Commune de Paris, nous proposons de partager avec vous deux sortes de documents remarquables:
– les conférences de Henri Guillemin consacrées à la Commune
– des extraits du livre de Prosper-Olivier Lissagaray : Histoire de la Commune de 1871 ; dont il fut témoin et acteur.
Chaque jour, quasiment jour pour jour, nous livrerons des extraits de ce livre admirable; et en même temps le travail d’historien si juste politiquement et si empathique de Guillemin, (qui lui valut d’être ostracisé à sa manière aussi), enrichira et complètera cette lecture.

Il y a 150 ans, le 18 mars 1871,  commençait la Commune de Paris. Notre théâtre porte le nom de cet événement populaire splendide. Au Théâtre De La Commune nous souhaitions dire notre admiration et notre amour pour les acteurs et actrices, femmes, enfants, hommes, de cet épisode de grande beauté politique. Et notre gratitude pour celles et ceux qui donnèrent à notre maison un nom-idée que la postérité reprendra dans tous les lieux de la terre. Ce fut le printemps. Pour fêter ce jour, nous avons choisi le poème de Rimbaud, qui par-delà le massacre qui s’ensuivit, affirme la fidélité inconditionnelle. Pour ceux qui la connaissent et l’aiment La Commune est tendresse et il y a éternité de son heure et de son lieu.

Qu’est-ce pour nous, Mon Cœur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre ; et l’Aquilon encor sur les débris

Ici le poème

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : La Révolution française

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 14 – Préface de la 1ère édition (1876) – Celui qui écrit

« C’est un proscrit qui tient la plume – sans doute ; mais un proscrit qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune ; qui pendant cinq années a vanné les témoignages ; qui a voulu sept preuves avant d’écrire ; qui voit le vainqueur guettant la moindre inexactitude pour nier tout le reste ; qui ne sait pas de plaidoyer meilleur pour les vaincus que le simple et sincère récit de leur histoire.
Cette histoire d’ailleurs, elle est due à leurs fils, à tous les travailleurs de la terre. L’enfant a le droit de connaître le pourquoi des défaites paternelles ; le parti socialiste, les campagnes de son drapeau dans tous les pays. Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs »

Londres, Novembre 1876

Pages 15, 16 – Préface de la 2ème édition (1896) Pour qu’on sache

« D’où jaillirent les inconnus du 18 mars 1871 ? Qui a provoqué cette journée ? Qu’a fait le Comité Central ? Quelle a été la Commune ? Comment tant de milliers de Français patriotes, républicains, ont-ils été, par des Français, massacrés, jetés hors de leur patrie, longtemps reniés par des républicains ? Où sont les responsabilités ? Les actes vont le dire. »
« L’avènement graduel, irrésistible, des classes laborieuses est le fait culminant du 19ème siècle. En 1830, en 1848, le peuple escalade l’Hôtel de Ville pour le céder aussitôt aux subtiliseurs de victoires ; en 1871, il y reste, refuse de le rendre et pendant plus de deux mois, administre, gouverne, mène au combat la cité. »

 

Pages 78,79 – Ces jours où Paris fut livré

« Quelqu’un dit : « Il faut capituler », le général Lecomte. […]
Dès lors Paris vécut comme le malade qui attend l’amputation. Les forts tonnaient toujours, les morts et les blessés continuaient de rentrer, mais on savait Jules Favre à Versailles. Le 27, à minuit, le canon se tut. Bismarck et Jules Favre s’étaient entendus d’honneur. Paris était livré. »
« Le 29 janvier 71, le drapeau allemand monta sur les forts. Le pacte était signé de la veille. Quatre cent mille hommes armés de fusils, de canons, capitulaient devant deux cent mille. Les forts, l’enceinte étaient désarmés. Toute l’armée, deux cent quarante mille soldats, marins et mobiles, devenait prisonnière. Parsi devait payer deux cent millions sous quinze jours. Le Gouvernement se faisait honneur d’avoir conservé ses armes à la garde nationale, mais chacun savait qu’il aurait fallu saccager Paris pour les lui ravir. Enfin, non content de livrer Paris, le Gouvernement de la Défense nationale livrait la France. »

 

Pages 110, 111 – Au matin du 18 Mars 1871, les femmes partirent les premières

« Les femmes partirent les premières comme dans les journées de Révolution. Celles du 18 mars, bronzées par le siège – elles avaient eu double ration de misère – n’attendirent pas leurs hommes. Elles entourent les mitrailleuses, interpellent les chefs de pièce : « C’est indigne ! Qu’est-ce que tu fais là ? ». Les soldats se taisent. Quelquefois un sous-officier : « Allons, bonnes femmes, éloignez-vous ! ». La voix n’est pas rude ; elles restent. Tout à coup, le rappel bat. Des gardes nationaux ont découvert deux tambours au poste de la rue Doudeauville et ils parcourent le 18ème arrondissement. A huit heures ils sont trois cents officiers et gardes qui remontent le boulevard Ornano. Un poste de soldats du 88ème sort, on leur crie : Vive la République ! Ils suivent. Le poste de la rue Dejean les rallie et, crosse en l’air, soldats et gardes confondus gravissent la rue Muller qui mène aux buttes tenues de côté par les soldats du 88ème. Ceux-ci, voyant leurs camarades mêlés aux gardes, font signe de venir, qu’ils livreront passage. Le général Lecomte saisit leur mouvement, les fait remplacer par des sergents de ville et jeter dans la tour Solférino, ajoutant : « Votre compte est bon ». Les remplaçants ont à peine le temps de lâcher quelques coups de feu. Gardes et lignards franchissent le parapet ; un grand nombre d’autres gardes, la crosse en l’air, des femmes et des enfants débouchent sur le flanc opposé, par la rue des Rosiers. Lecompte cerné commande trois fois le feu. Ses hommes restent l’arme au pied. La foule se joint, fraternise, arrête Lecomte et ses officiers.
[…] Trois coups de canon tirés à blanc annoncent à Paris la reprise des buttes. »

Les Buttes Montmartre avant le 18 mars

« Aux Buttes Chaumont, à Belleville, au Luxembourg, le peuple avait également arrêté, repris ses pièces. […]
A onze heures, le peuple a vaincu l’agression sur tous les points, conservé presque tous ses canons – les attelages n’en ont emmené que dix – gagné des milliers de fusils. Les bataillons fédérés sont debout ; les faubourgs se dépavent. »

« Sur la place [de la Bastille], un moment de grand silence. Derrière un cercueil qui vient de la gare d’Orléans, un vieillard tête nue que suit un long cortège : Victor Hugo mène au Père Lachaise le corps de son fils Charles. Les fédérés présentent les armes et entrouvrent les barricades pour laisser passer la gloire et la mort ».

 

Page 115 – Ce même jour, l’Hôtel de Ville est occupé et Jules Ferry s’enfuit par une fenêtre

« A sept heures et demie, l’Hôtel de ville est cerné. Les gendarmes qui l’occupent s’enfuient par le souterrain de la caserne Lobau. Vers huit heures et demie, Jules Ferry et Fabre, totalement abandonnés par leurs hommes, laissés sans ordres par le Gouvernement, partent à leur tour. Peu après la colonne Brunel débouche sur la place et prend possession de la Maison commune déserte et noire. Brunel fait allumer le gaz et hisser le drapeau rouge au beffroi.
Les bataillons ne cessent plus d’affluer. Brunel commença des barricades rue de Rivoli, sur les quais, garnit les abords, distribua les postes et lança de fortes patrouilles. L’une d’elles, cernant la mairie du Louvre où les maires délibéraient, faillit prendre Jules Ferry qui sauta par la fenêtre. »

Un groupe de gardes nationaux

Bruno Braquehais (1823-1874). La Commune 1871. Groupe devant les débris de la colonne Vendôme abbatue par les communards le 16 mai 1871, 1er arrondissement, Paris. Paris, musée Carnavalet

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 118 – Au grand soleil du monde« Paris ne connut sa victoire que le 19 au matin. Quel changement de décor même après les décors sans nombre de ces sept mois de drame. Le drapeau rouge est à l’Hôtel de Ville. Avec les brouillards du matin, l’armée, le Gouvernement, l’administration se sont évaporés. Des profondeurs du faubourg Saint-Antoine, de l’obscure rue Basfroi, le Comité Central est projeté en tête de Paris, au grand soleil du monde. Ainsi, le 4 septembre, l’Empire s’était évanoui ; ainsi les députés de la gauche avaient ramassé un pouvoir abandonné.
L’honneur, le salut du Comité fut de n’avoir qu’une pensée, rendre le pouvoir à Paris. […]
Il se composait heureusement de nouveaux venus sans passé ni prétentions politiques, fort peu soucieux des systèmes, préoccupés avant tout de sauver la République. A cette hauteur vertigineuse, ils n’eurent pour les soutenir qu’une idée, mais l’idée logique, parisienne par excellence, assurer à Paris sa municipalité. […]
Pour le peuple, le Conseil municipal, c’était la Commune, la mère d’autrefois, l’aide aux opprimés, la garantie contre la misère. »

 

Pages 120, 121 – Un avènement d’obscurs

« [Cette révolution] est faite de prolétaires. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? »
« Depuis le matin du 10 août 1792, Paris n’avait pas connu un tel avènement d’obscurs.
Et cependant leurs affiches sont respectées, leurs bataillons circulent librement, occupent sans résistance tous les postes, à une heure les ministères des Finances et de l’Intérieur, à deux heures ceux de la Marine et de la Guerre, les Télégraphes, l’Officiel, la Préfecture de police. C’est que la première note est juste. Que dire contre ce pouvoir qui, à peine né, parle de s’effacer ?»

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 134, 135 – Sauver la situation en prenant en mains la direction des affaires publiques

Déclaration du 21 mars 1871 du Comité Central dans l’Officiel :
« Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en mains la direction des affaires publiques… »
[…]
« C’était la première note socialiste de cette révolution, profondément juste, touchante et politique. Le mouvement purement de défense républicaine au début prenait de suite couleur sociale par cela seul que des travailleurs le conduisaient.
Le même jour, le Comité suspendait la vente des objets engagés au mont de Piété, prorogeait d’un mois les échéances, interdisait aux propriétaires de congédier leurs locataires jusqu’à nouvel ordre. En trois lignes, il faisait justice, battait Versailles, gagnait Paris.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Déclaration du 23 mars 1871 du Comité Central dans l’Officiel :
« La réaction soulevée par vos maires et vos députés nous déclare la guerre. Nous devons accepter la lutte et briser la résistance… Citoyens, Paris ne veut pas régner, mais il veut être libre ; il n’ambitionne pas d’autre dictature que celle de l’exemple ; il ne prétend ni imposer ni abdiquer sa volonté ; il ne se soucie pas plus de lancer des décrets que de subir des plébiscites ; il démontre le mouvement en marchant lui-même et il prépare la liberté des autres en fondant la sienne. Il ne pousse personne violemment dans les voies de la République ; il se contente d’y entrer le premier. »

Suivent les signatures : Audoynaud, A. Arnaud, G. Arnold, Andignoux, Assi, Avoine fils, Babick, Barroud, Bergeret, Billioray, Bouit, Boursier, Blanchet, Castioni, Chouteau, C. Dupont, Duval, Eudes, Fabre, Ferrat, Fleury, H. Fortuné, Fougeret, Gaudier, Geresme, Gouhier, Gr¨lier, J. Grollard, Josselin, Jourde, Lavalette, Lisbonne, Lullier, Maljournal, Ed ; Moreau, Mortier, Pindy, Prudhomme, Ranvier, Rousseau, Varlin, Viard. Deux ou trois seulement appartenaient à l’Internationale.

« La réaction comptait sur la famine pour faire capituler l’Hôtel de Ville. Le million du lundi [prêté par la Banque de France pour nourrir la ville] était englouti. Le 22, la Banque en promettait un second et versait 300 000 francs d’acompte. Varlin et Jourde vinrent le soir chercher le solde ; on les promena.

Ils écrivirent : « Monsieur le Gouverneur, affamer la population parisienne, telle est l’arme d’un parti qui se dit honnête. La faim ne désarmera personne, elle ne fera que pousser les masses à la dévastation. Nous ramassons le gant qui nous a été jeté. » Et, sans daigner voir les Fracasses de la Bourse, le Comité envoya deux bataillons devant la Banque qui dut s’acquitter.

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : La guerre de 1870

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 141, 142 – Ni imposer ni abdiquer sa volonté

« La réaction comptait sur la famine pour faire capituler l’Hôtel de Ville. Le million du lundi [prêté par la Banque de France pour nourrir la ville] était englouti. Le 22, la Banque en promettait un second et versait 300 000 francs d’acompte. Varlin et Jourde vinrent le soir chercher le solde ; on les promena.

Ils écrivirent : « Monsieur le Gouverneur, affamer la population parisienne, telle est l’arme d’un parti qui se dit honnête. La faim ne désarmera personne, elle ne fera que pousser les masses à la dévastation. Nous ramassons le gant qui nous a été jeté. » Et, sans daigner voir les Fracasses de la Bourse, le Comité envoya deux bataillons devant la Banque qui dut s’acquitter.

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : Le siège de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 147 – Abondants de volonté, de sève, d’éloquence

« À côté de ces mandarins de la tribune, de l’histoire, du journalisme, incapables de trouver un mot, un geste de vie, voici les fils de la masse, innommés, abondants de volonté, de sève, d’éloquence. Leur adresse d’adieu fut digne de leur avènement : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus… Défiez-vous également des parleurs… Évitez ceux que la fortune a favorisés, car, trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère… Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages. Le véritable mérite est modeste, et c’est aux travailleurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. » (Dernière déclaration du Comité Central avant les élections de la Commune)

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : L’avant Commune

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 149 – Le dimanche 26 mars est un renouveau

« Paris-Commune reprenait son rôle de capitale, redevenait l’initiateur national. Pour la dixième fois, les travailleurs replaçaient la France dans le droit chemin. […]

« Les désespérés du mois dernier rayonnaient d’enthousiasme. On s’abordait, sans se connaître, frères par la même volonté, la même foi, le même amour.

Le dimanche, 26 mars, est un renouveau. Paris respire, comme au sortir des ténèbres ou d’un grand danger. À Versailles les rues sont sinistres, les gendarmes tiennent la gare, exigent brutalement des papiers, confisquent les journaux parisiens, au moindre mot de sympathie pour la Ville vous arrêtent. À Paris, on entre librement. Les rues sont vives, les cafés bruyants ; le même gamin crie le Paris-Journal et la Commune ; les attaques contre l’Hôtel de Ville, les protestations de quelques enfiellés, s’étalent à côté des affiches du Comité Central. Le peuple n’a plus de colère, n’ayant plus de crainte. Le bulletin a remplacé le chassepot. »

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : A Versaille

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

le 27 mars 1871,
page 147, hommage au Comité Central qui laissa la place pour faire entrer la Commune

Ils pouvaient « descendre tête haute les marches de l’Hôtel-de-Ville » ces sans-noms qui venaient d’ancrer à port la Révolution du 18 Mars. Nommés uniquement pour défendre la République, jetés à la tête d’une révolution sans précédent, ils avaient su résister aux impatients, contenir les réactionnaires, rétablir les services publics, nourrir Paris, déjouer les pièges, profiter des fautes de Versailles et des maires, et, tiraillés en tous sens, côtoyant à chaque minute la guerre civile, négocier, agir, au moment et à l’endroit voulu. Ils avaient su accoucher l’idée du jour, limiter leur programme aux revendications municipales, amener la population entière aux urnes. Ils avaient inauguré une langue vigoureuse, fraternelle, inconnue aux pouvoirs bourgeois.
Et ils étaient des obscurs, presque tous d’instruction incomplète, quelques-uns des exaltés. Mais le peuple pensa avec eux, leur envoya ces bouffées d’inspiration qui firent la Commune de 92-93 grande. Paris fut le brasier, l’Hôtel-de-Ville la flamme. Dans cet Hôtel-de-Ville où des bourgeois illustres avaient accumulé trahisons sur déroutes, des premiers venus trouvèrent la victoire pour avoir écouté Paris.
Que leurs services les absolvent d’avoir laissé sortir l’armée, les fonctionnaires et réoccuper le Mont-Valérien. On dit qu’ils auraient dû marcher le 19 ou le 20 sur Versailles. L’Assemblée, à la première alerte, aurait gagné Fontainebleau avec l’armée, l’administration, la Gauche, tout ce qu’il fallait pour gouverner et tromper la province. L’occupation de Versailles n’eût fait que déplacer l’ennemi, n’eût pas été longue ; les bataillons populaires étaient trop mal préparés pour tenir en même temps cette ville ouverte et Paris.
En tout cas, le Comité Central laissait une succession franche, mille fois les moyens de désarmer l’ennemi.

Chronologie de la Commune de Paris

En écho à cette journée du 28 mars, nous vous invitons à écouter la fin de la 5ème conférence de Guillemin :
Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : L’avant Commune

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

page 151 : en voyant ce Paris capable d’enfanter un monde nouveau… la fête de la proclamation

Le (28 mars), deux cent mille misérables vinrent à l’Hôtel-de-Ville installer leurs élus. Les bataillons, tambour battant, le drapeau surmonté du bonnet phrygien, la frange rouge au fusil, grossis de lignards, artilleurs et marins fidèles à Paris, descendirent par toutes les rues sur la place de Grève, comme les affluents d’un fleuve gigantesque. Au milieu de l’Hôtel-de-Ville, contre la porte centrale, une grande estrade est dressée. Le buste de la République, l’écharpe rouge en sautoir, rayonnant de rouges faisceaux, plane et protège. D’immenses banderoles au fronton, au beffroi, claquent, pour envoyer le salut à la France. Cent bataillons rangent devant l’Hôtel-de-Ville leurs baïonnettes que le soleil égaie. Ceux qui n’ont pu pénétrer s’allongent sur les quais, rue de Rivoli, boulevard de Sébastopol. Les drapeaux groupés devant l’estrade, la plupart rouges, quelques-uns tricolores, tous cravatés de rouge, symbolisent tous l’avènement du peuple. Pendant que les bataillons se rangent, les chants éclatent, les musiques sonnent la Marseillaise et le Chant du Départ, les clairons lancent la charge, le canon de la Commune de 92 tonne sur le quai.

Le bruit s’arrête, on écoute. Les membres du Comité Central et de la Commune, l’écharpe rouge en sautoir, viennent d’apparaître sur l’estrade. Ranvier : « Le Comité Central remet ses pouvoirs à la Commune. Citoyens, j’ai le cœur trop plein de joie pour prononcer un discours. Permettez-moi seulement de glorifier le peuple de Paris pour le grand exemple qu’il vient de donner au monde. » Un membre du Comité Central, Boursier, le frère du petit tué rue Tiquetone, en 52 : « L’enfant avait reçu deux balles dans la tête », proclame les élus. Les tambours battent au champ. Les musiques, deux cent mille voix reprennent la Marseillaise, ne veulent pas d’autre discours. À peine si Ranvier, dans une éclaircie, peut jeter : « Au nom du peuple, la Commune est proclamée ! »
Un seul cri répond, fait de toute la vie de deux cent mille poitrines : « Vive la Commune ! » Les képis dansent au bout des baïonnettes, les drapeaux fouettent l’air. Aux fenêtres, sur les toits, des milliers de mains agitent des mouchoirs. Les coups précipités des canons, les musiques, les clairons, les tambours, se fondent dans une formidable communion. Les cœurs sautent, les yeux brillent de larmes. Jamais, depuis la Fédération de 1790, les entrailles de Paris ne furent aussi fortement secouées ; les pires gens de lettres qui écrivirent la scène eurent un instant de foi.
Le défilé fut mené très habilement par Brunel qui sut faire entrer les bataillons du dehors brûlant d’acclamer la Commune. Devant le buste de la République, Les drapeaux s’inclinaient, les officiers saluaient du sabre, les hommes élevaient leurs fusils. Les dernières files ne s’écoulèrent qu’à sept heures.
(…)
Quel pouvoir au monde, après tant de désastres, n’eût couvé, ménagé avaricieusement ce réservoir de forces inespérées. Eux, voyant ce Paris capable d’enfanter un monde nouveau, ce cœur gonflé du plus beau sang de la France, ils n’eurent qu’une pensée : saigner Paris.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

29 mars 1871, page 171
« La Révolution est dans le peuple et non point dans la renommée de quelques personnages. » Saint-Just à la Convention, 31 mai 1794.

Premières séances de la Commune.

La place vibrait encore, quand une soixantaine des élus de Paris se rencontrèrent à l’Hôtel-de-Ville. Beaucoup ne s’étaient jamais vus ; la plupart se connaissaient, amis ou adversaires ; libéraux humiliés de leur dernière défaite, révolutionnaires exubérants de la victoire. Le scrutin avait donné seize maires ou adjoints libéraux, quelques irréconciliables et soixante-douze révolutionnaires de tout bois.
(…)

Vingt-cinq ouvriers, dont treize seulement de l’Internationale, représentaient la pensée, l’effort, l’honneur du prolétariat parisien : Malon, Varlin, Duval, Theisz, Avrial, Ranvier, Pindy, Langevin, Amouroux, Frankel, Champy, etc. La grande majorité révolutionnaire était donc de petits bourgeois, employés, comptables, médecins, instituteurs, hommes de loi, publicistes il y en eut jusqu’à douze. —
Des innocents de la politique que fut le Comité Central, Paris, par une conséquence inévitable, passait aux socialistes et aux hommes politiques depuis longtemps connus dans leurs milieux. La plupart des élus, fort jeunes ; quelques-uns avaient au plus vingt-cinq ans.

La rencontre eut lieu à neuf heures dans la salle de l’ancienne commission municipale de l’Empire, ouvrant sur le fameux escalier de la cour Louis XIV, à double révolution. Rencontre de circonstance ; le Comité Central n’avait laissé aucun ordre de réception.

La présidence revenait au père Beslay. Soixante-douze ans, maigre, assez grand, d’ossature bretonne, fils de député libéral, élu en 1830, élu en 48, Beslay s’était élevé du libéralisme à la République et, chef d’industries prospères, au socialisme. Un des fondateur de l’Internationale, il avait refusé d’entrer dans ses conseils, dit aux ouvriers : « Restez entre vous, n’accueillez ni capitalistes, ni patrons ». Après l’invasion, à soixante et onze ans, il court à Metz, rencontre un uhlan près de Saint-Privat, de son bâton noueux l’assomme, peut regagner Paris, pousse à la défense, signe les affiches de la Corderie, harcèle son compatriote Trochu, risque d’être arrêté. Rare survivant d’une forte bourgeoisie, plus rare exemple de la reconnaissance du peuple qui l’envoya à l’Hôtel-de-Ville.

Il ne préside pas une séance, mais un choc confus de motions que coupe parfois la rumeur des gardes nationaux campés dans la cour.
(…)

On parle de vérifier les élections d’après telle ou telle loi. Les plus ardents n’ont pas besoin de loi, proposent l’ordre du jour, déclarent que cette assemblée est révolutionnaire, ne veulent pas surtout de séances publiques. Danton, à l’ouverture de la Convention, avait fait justice d’une motion identique ; elle choque à la Commune. Arthur Arnould : « Nous ne sommes pas le conseil d’une petite commune ». — « Nous sommes un conseil de guerre, riposte Paschal Grousset, nous n’avons pas à faire connaître nos décisions à nos ennemis. » Plusieurs, Jourde, Theisz : « Toujours il faut être responsable ». Ranc fait ajourner au lendemain. Loiseau-Pinson demande l’abolition de la peine de mort en toutes matières. On reparle des élections ; les mandats de député et de membre de la Commune doivent être incompatibles, disent Vallès, Jourde, Theisz.
Là-dessus, Tirard, qui se contenait mal devant le tumulte des propositions, demande la parole : « Mon mandat, dit-il, est purement municipal ; puisqu’on a parlé d’abolition de lois et d’une Commune conseil de guerre, je ne suis pas en droit de rester ; quant au double mandat, c’est avant qu’il fallait imposer la résiliation », et il enveloppe sa démission d’une ironie : « Je vous laisse mes vœux sincères, puissiez-vous réussir dans votre tâche. » Ce persiflage, l’évidente mauvaise foi irritent.

(…)

Les motions recommencent. Ordre est donné de confier les portes de Passy et d’Auteuil aux gardes nationaux fidèles. Lefrançais revient dire que les délégués du Comité Central font demander à quelle heure il pourra, le lendemain, venir déposer ses pouvoirs. Enfin on arrive à fixer l’ordre du jour de la prochaine séance.

Le vieux beffroi sonne minuit. L’assemblée se lève en criant : « Vive la République ! Vive la Commune ! » Ferré, secrétaire avec Raoul Rigault, ramasse les notes informes qui seront le procès-verbal. Les gardes de la cour d’honneur crient : « Vive la Commune ! » au passage des élus. Paris s’endormit aux fanfares mourantes ; pour la première fois, depuis le 18 mars, les lumières de l’Hôtel-de-Ville s’éteignirent et les sentinelles n’eurent pas de mot de bataille à échanger.

 

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : Ambiance à Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
30 mars 1871, page 176
Paris instruit de sa Commune

Le 30 mars, au matin, Paris fut instruit de sa Commune. « Dès aujourd’hui, disait la première proclamation, la décision attendue sur les loyers, demain celle des échéances, tous les services publics rétablis et simplifiés, la garde nationale réorganisée sans délai, tels seront nos premiers actes. » Un décret faisait remise générale des termes compris entre octobre 70 et juillet 71, des sommes dues pour les locations en garni. Versailles n’offrait que des délais, c’était inique ; la Commune acquittait, disant avec raison que la propriété devait payer sa part de sacrifices, mais elle négligeait d’excepter une foule d’industriels qui avaient réalisé des bénéfices scandaleux pendant le siège ; on reculait devant une enquête.

Le Comité Central voulut bien, dans une proclamation, adhérer aux décrets de la Commune. Elle s’en offusqua à la séance du 30 et Duval demanda qu’on refusât au Comité tout pouvoir politique. Survient une délégation du Comité. C’était le moment pour la Commune de s’affirmer. Seule représentant la population, seule responsable, elle absorbait à cette heure tous les pouvoirs, ne pouvait tolérer, à côté d’elle, un Comité qui se souviendrait toujours de son ancien rôle. La Commune avait rendu justice au Comité Central en votant qu’il avait bien mérité de Paris et de la République, l’avait chaleureusement accueilli la veille ; elle devait, aujourd’hui, déclarer son rôle terminé. Au lieu de parler net, on récrimina.

Un membre de la Commune rappela la promesse du Comité de se dissoudre après les élections. À moins qu’il ne visât à conserver un pouvoir, on ne comprenait pas en quoi son organisation était nécessaire. Les délégués, menés par Arnold qui fut ensuite de la Commune, se montrèrent adroits.

« C’est la Fédération, dirent-ils, qui a sauvé la République. Tout n’est pas encore dit. Dissoudre cette organisation, c’est désagréger votre force. Le Comité Central ne prétend retenir aucune part du gouvernement, il reste le trait d’union entre vous et les gardes nationaux, le bras de la révolution. Nous redevenons ce que nous étions, le grand conseil de famille de la garde nationale. »

Cette image porta (…)

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : Des gens scrupuleux

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
31 mars 1871,  page 177
Ceux à qui manquait le souci des destinées de Paris

Les décrets, les usurpations de pouvoir, le décousu des délibérations servirent de prétexte à la fraction radico-libérale de l’assemblée. Il n’était pas de séance qui n’eût enregistré trois ou quatre démissions. Si leur convention du 25 avait été sincère, s’ils avaient eu souci des destinées de Paris, les maires et adjoints élus auraient embrassé courageusement leur mandat et peut-être déplacé des majorités. Comme ceux de province, ils désertèrent, bien qu’ils eussent accepté les candidatures. Beaucoup n’étaient jamais venus à l’Hôtel-de-Ville. D’autres levaient les bras, s’écriaient, lamentables : « Où allons-nous ! » Celui-ci était moribond : « Vous le voyez, je n’ai qu’un souffle. » Les plus injurieux depuis cherchaient d’humbles défaites avec force « vœux bien sincères », comme M. Méline [2]. Leurs démissions, les élections doubles laissaient ving-deux sièges vacants quand la Commune valida les pouvoirs. Fidèle aux meilleures traditions de la République française, elle admit le Hongrois Léo Frankel, un des plus intelligents de l’Internationale, que le XIIIe avait nommé. Six candidats ne réunissaient pas le huitième des suffrages exigés par la loi de 49 ; on passa outre, leurs arrondissements, composés de quartiers réactionnaires, se dégarnissant tous les jours.

Les riches, les hommes d’ordre, deux fois étrillés, place Vendôme et au scrutin, continuaient de s’enfuir à Versailles qu’ils alimentaient de colères nouvelles. La ville réactionnaire avait pris une physionomie de bataille. Tout annonçait la lutte prochaine. Déjà, M. Thiers avait coupé Paris de la France. La veille des échéances d’avril, le 31 mars, le directeur des postes Rampont, faussant la parole donnée au délégué de la Commune, Theisz, s’enfuyait après avoir désorganisé les services ; Versailles supprimait les arrivages de wagons-poste et retenait les correspondances à destination de Paris.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
1er avril 1871,  page 178
La Commune acquittait, Versailles s’armait contre elle 

Le 1er avril, M. Thiers annonça officiellement la guerre : « L’Assemblée siège à Versailles, où achève de s’organiser une des plus belles armées que la France ait possédées. Les bons citoyens peuvent donc se rassurer et espérer la fin d’une lutte qui aura été douloureuse mais courte ». Cynique vantardise de ce vieillard qui avait entravé l’organisation des armées contre les Prussiens.


12 mai 1871 Démolition de la maison de « M. Thiers le bombardeur » sur décision de la Commune

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : La vraie France

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
2 avril 1871,  page 180
Le siège recommence

Ce jour même, un dimanche, à une heure, sans avertissement, sans sommation, les Versaillais ouvrent le feu, jettent des obus dans Paris.

(…)

Au bruit du canon, Paris s’arrêta. Personne ne croyait à une attaque, tant l’on vivait depuis le 28 mars dans une atmosphère de confiance. C’était une salve d’anniversaire, sans doute, tout au plus un malentendu. Quand les nouvelles, les voitures d’ambulances arrivèrent, quand ce mot courut : « Le siège recommence ! » une même explosion vint de tous les quartiers. Les barricades se relèvent. On traîne des canons sur les remparts de la porte Maillot et des Ternes. À trois heures, cinquante mille hommes, crient : « À Versailles ! » Les femmes veulent marcher en avant.


Porte Maillot, la grande batterie de droite sous le feu du Mont Valérien

 


Porte Maillot, la grande batterie de gauche sous le feu du Mont Valérien

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
3 avril 1871,  page 184
La déroute du 3 avril, assassinat de Flourens

Flourens fut surpris dans Rueil. Depuis le 18 mars, cet exubérant était devenu taciturne comme s’il sentait les approches de l’ombre. Après la débandade il refusa de rentrer, descendit de cheval et suivit tristement le rivage de la Seine ne répondant pas à Cipriani, son ancien camarade en Crète, jeune et vaillant Italien prêt à toutes les nobles causes et qui le conjurait de se réserver. Las et découragé, Flourens se coucha sur la berge et s’endormit. Cipriani avisa une maisonnette voisine près du pont de Chatou, fit prix d’une chambre où Flourens le suivit, déposa son sabre, son revolver, son képi et se jeta sur le lit. Un individu envoyé en reconnaissance les dénonça et une quarantaine de gendarmes cernèrent la maison. Cipriani, le premier découvert, veut se défendre, est assommé. Flourens, reconnu à une dépêche trouvée sur lui, est conduit sur le bord de la Seine où il se tient debout, tête nue, bras croisés. Un capitaine de gendarmerie, Desmarets, accourt à cheval, hurle : « C’est vous, Flourens, qui tirez sur mes gendarmes ! » et se dressant sur les étriers, lui fend le crâne d’un coup de sabre si furieux qu’il lui fit deux épaulettes, dit un gendarme qui avait le mot jovial. Cipriani encore vivant fut jeté avec le mort dans un petit tombereau de fumier et roulé à Versailles ou les amies des officiers vinrent flairer le cadavre. Ainsi finit sa course, ce bon chevalier errant que la Révolution aima.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
4 avril 1871, page 186: l’armée de l’ordre, reprenant l’horrible tradition de juin 48, massacrait les prisonniers

Comme Flourens, il ne peut accepter de rentrer. À l’inverse de Flourens, le taciturne Duval était devenu depuis le 18 mars, abondant de verbe, presque loquace. Entouré seulement d’une poignée d’hommes, toute la nuit il ne cessa de répéter : « Je ne reculerai pas. »
Le 4, à cinq heures, le plateau et les villages voisins sont enveloppés par la brigade Derroja et la division Pellé : « Rendez-vous, vous aurez la vie sauve, » fait dire le général Pellé. Les fédérés se rendent. Aussitôt les Versaillais saisissent les soldats qui combattaient dans les rangs fédérés et les fusillent. Les autres prisonniers, enfermés entre deux haies de chasseurs, sont acheminés sur Versailles. Leurs officiers, tête nue, les galons arrachés, marchent en tête du convoi.
Au Petit Bicêtre, la colonne rencontre Vinoy. Il ordonne de fusiller les officiers. Le chef de l’escorte rappelle la promesse du général Pellé. Alors, Vinoy : « Y a-t-il un chef ? » — « Moi ! » dit Duval, qui sort des rangs. Un autre s’avance : « Je suis le chef d’état-major de Duval. » Le commandant des volontaires de Montrouge vient se mettre à côté d’eux. « Vous êtes d’affreuses canailles ! » dit Vinoy, et se tournant vers ses officiers : « Qu’on les fusille ! » Duval et ses camarades dédaignent de répondre, franchissent un fossé, viennent s’adosser contre un mur, se serrent la main, crient : « Vive la Commune ! » meurent pour elle. Un cavalier arrache les bottes de Duval et les promène comme un trophée ; un rédacteur du Figaro s’empara du faux-col ensanglanté.

Chronologie de la Commune de Paris

Cycle de conférence de Henri Guillemin consacrée à la Commune : A l’attaque de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
page 197, là-bas, le Mont-Valérien crachant la mort, ici, les hommes vivant en frères

Après soixante-dix jours d’armistice, Paris reprend seul la lutte pour la France. Ce n’est plus uniquement le territoire qu’il dispute, mais les assises mêmes de la nation. Vainqueur, sa victoire ne sera pas stérile comme celle des champs de bataille ; des races renouvelées reprendront en sous-œuvre l’édifice social. Vaincu, les libertés s’éteignent ; la bourgeoisie arme de fer ses lanières, une génération glisse dans le tombeau. Paris, si bon, si fraternel, ne frémit pas de cette lutte entre Français. L’idée couvre les bataillons de ses larges ailes. Ils marchent le front levé, les yeux brillants, la bouche fière. Si le bourgeois refuse de se battre, et dit : « J’ai de la famille, » le travailleur dit : « Moi, je me bats pour mes enfants. »
Pour la troisième fois depuis le 18 Mars, la ville n’a qu’un souffle. Les dépêches officielles, les journalistes de louage attablés à Versailles, dépeignaient Paris comme le pandémonium de tous les coquins de l’Europe. Les honnêtes femmes n’osaient plus s’aventurer dans les rues ; quinze cent mille personnes opprimées par vingt mille scélérats faisaient des vœux ardents pour Versailles. Le voyageur qui s’aventurait dans Paris trouvait les rues, les boulevards tranquilles, vivant de leur vie ordinaire. Ces pillards n’avaient pillé que la guillotine solennellement brûlée devant la mairie du XIe. De tous les quartiers le même murmure d’exécration partait contre les assassinats des prisonniers, les scènes ignobles de Versailles. Et tel, venu indigné contre Paris, voyant ce calme, cette union des cœurs, ces blessés criant : Vive la Commune ! ces bataillons enthousiastes, là-bas, le Mont-Valérien crachant la mort, ici, les hommes vivant en frères, sentait ses yeux humides, un frisson parcourir sa peau, prenait en quelques heures la maladie parisienne.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
page 203, Je ne vous ferai pas de longs discours, ils nous ont coûté trop cher

Le 6 au matin, le Mont-Valérien récemment armé de pièces de 24 ouvrit son feu sur Courbevoie. Après six heures de bombardement, les fédérés évacuèrent le rond-point et prirent position derrière la grande barricade du pont de Neuilly. Les Versaillais la canonnèrent ; elle résista, protégée par le canon de la porte Maillot.

Cette porte Maillot, qui devint légendaire, n’avait que quelques pièces tirant à découvert, sous le feu plongeant du Mont-Valérien. Pendant quarante-huit jours, la Commune trouva des hommes pour tenir l’avancée intenable. Les curieux venaient les regarder, abrités derrière les massifs de l’Arc-de-Triomphe ; les gamins s’ébattaient dans l’avenue de la Grande-Armée, attendant à peine l’explosion pour courir après les éclats d’obus.

(…)

Le 6, à deux heures, Une foule accourut à l’hospice Beaujon où les morts étaient exposés visage découvert. Des mères, des épouses, tordues sur les cadavres, jetèrent des cris de fureur et des serments de vengeance. Trois catafalques contenant chacun trente-cinq cercueils, enveloppés de voiles noirs, pavoisés de drapeaux rouges, traînés par huit chevaux, roulèrent lentement vers les grands boulevards, annoncés par les clairons et les Vengeurs de Paris. Delescluze et cinq membres de la Commune, l’écharpe rouge, tête nue, menaient le deuil. Derrière eux, les parents des victimes, les veuves d’aujourd’hui soutenues par celles de demain. Des milliers et des milliers, l’immortelle à la boutonnière, silencieux, marchaient au pas des tambours voilés. Quelque musique sourde éclatait par intervalles comme l’explosion involontaire d’une douleur trop contenue. Sur les grands boulevards, ils étaient deux cent mille et cent mille faces pâles regardaient aux croisées. Des femmes sanglotaient : beaucoup défaillirent. Cette voie sacrée de la Révolution, lit de tant de douleurs et de tant de fêtes, a bien rarement vu pareille flambée de cœurs. Delescluze s’écriait : « Quel admirable peuple ! Diront-ils encore que nous sommes une poignée de factieux ! » Au Père-Lachaise, il s’avança sur la fossé commune. Les cruelles épreuves de la prison de Vincennes avaient brisé son enveloppe si frêle. Ridé, voûté, aphone, maintenu seulement par sa foi indomptable, ce moribond salua ces morts : « Je ne vous ferai pas de longs discours, ils nous ont coûté trop cher… Justice pour les familles des victimes… Justice pour la grande ville qui, après cinq mois de siège, trahie par son gouvernement, tient encore dans ses mains l’avenir de l’humanité… Ne pleurons pas nos frères tombés héroïquement, mais jurons de continuer leur œuvre et de sauver la Liberté, la Commune, la République. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
page 205, Dombrowski

La Commission exécutive remplaça (Bergeret) par Dombrowski, un Polonais que Garibaldi avait réclamé pour son armée des Vosges. L’état-major galonné de Bergeret protesta(…). La garde nationale montra quelque défiance de Dombrowski et envoya une délégation à la Commune. Vaillant, Delescluze défendirent Dombrowski, que la Commission exécutive dut présenter à Paris. Inexactement renseignée, elle lui fit une légende ; il ne tarda pas à la surpasser.

Le 7, les fédérés de Neuilly virent un homme jeune, de petite taille, à l’uniforme modeste, inspecter les avant-postes, au pas, sous la fusillade. Au lieu de la furia française, d’entrain et d’éclat, la bravoure froide et comme inconsciente du Slave. En quelques heures, le nouveau chef eut conquis son monde. L’officier se révéla bientôt. Le 9, pendant la nuit, avec deux bataillons de Montmartre, Dombrowski, accompagné de Vermorel, surprit les Versaillais dans Asnières, les en chassa, s’empara de leurs pièces et, du chemin de fer, avec les wagons blindés, il canonna de flanc Courbevoie et le pont de Neuilly. Son frère enleva le château de Bécon qui commande la route d’Asnières à Courbevoie. Vinoy ayant voulu reprendre cette position dans la nuit du 12, ses hommes repoussés s’enfuirent jusqu’à Courbevoie.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
8 avril 1871, page 200, La Commune ne voyait pas les vrais otages: la Banque…

Le 4, Vaillant avait demandé que pour répondre aux assassinats de Versailles, la Commune se souvînt qu’elle avait des otages et rendît coup pour coup. Le 5, Delescluze déposa un projet et à l’unanimité on décréta que tout prévenu de complicité avec Versailles serait jugé dans les quarante-huit heures, et si coupable, retenu comme otage. L’exécution par Versailles des défenseurs de la Commune devait être suivie de celle d’otages, en nombre triple, portait le décret, en nombre égal ou double, disait la proclamation. Ces variantes montraient le trouble des esprits. (…)

La Commune dans son indignation aveugle ne voyait pas les vrais otages qui crevaient les yeux : la Banque, l’Enregistrement et les Domaines, la Caisse des dépôts et consignations, etc. Par là on tenait les glandes génitales de Versailles ; on pouvait rire de son expérience, de ses canons. Sans exposer un homme, la Commune n’avait qu’à lui dire : « Transige ou meurs. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
9 avril 1871, page 207, Vous croyez à une émeute, vous vous trouvez face à des convictions

L’âpreté du combat ouvrit les yeux des plus optimistes. Beaucoup avaient cru jusque là à un affreux malentendu et formé des groupes de conciliation. Le 4 avril, des industriels et des commerçants fondèrent l’Union nationale des Chambres syndicales, avec ce programme : « Maintien et affranchissement de la République, reconnaissance des franchises municipales de Paris. » Au quartier des Écoles, des professeurs, médecins, avocats, ingénieurs, étudiants, demandèrent dans un manifeste la République démocratique et laïque, la Commune autonome, la fédération des communes. Un groupe analogue afficha une lettre à M. Thiers : « Vous croyez à une émeute, vous vous trouvez en face de convictions précises et généralisées. L’immense majorité de Paris veut la République comme un droit supérieur, hors de discussion. Paris a vu dans toute la conduite de l’Assemblée le dessein prémédité de rétablir la monarchie. » Quelques dignitaires francs-maçons envoyèrent un même appel à Versailles et à la Commune : « Arrêtez l’effusion de ce sang précieux. »

Enfin, un certain nombre d’anciens maires et adjoints qui n’avaient capitulé qu’à la dernière heure devant le Comité Central, montèrent la Ligue d’Union Républicaine des droits de Paris. Ils demandaient la reconnaissance de la République, du droit de Paris de se gouverner, la garde de la ville confiée exclusivement à la garde nationale, tout ce que demandait la Commune, tout ce qu’ils avaient combattu du 19 au 25 mars.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
10 avril 1871, page 216, 217, Simple et gigantesque comme un drame d’Eschyle

« Dans les rues, sur les boulevards silencieux, un bataillon de cent hommes qui va au feu ou en revient, quelque femme qui suit, un passant qui applaudit, c’est le drame de cette révolution, simple et gigantesque comme un drame d’Eschyle ».

[…] Celle qui tient le pavé maintenant, c’est la femme forte, dévouée, tragique, sachant mourir comme elle aime, de ce pur et généreux filon qui, depuis 89, court vivace dans les profondeurs

populaires. La compagne de travail veut aussi s’associer à la mort. « Si la nation française ne se composait que de femmes, quelle terrible nation ce serait », écrivait le correspondant du Times. Le 24 mars, aux bataillons bourgeois de la mairie du 1er arrondissement, un fédéré dit ce mot qui fit tomber leurs armes : « Croyez-moi, vous ne pouvez tenir ; vos femmes sont en larmes et les nôtres ne pleurent pas. »

Elle ne retient pas son homme, au contraire le pousse à la bataille, lui porte aux tranchées le linge et la soupe, comme elle faisait au chantier. Beaucoup ne veulent pas revenir, prennent le fusil. […] Au retour, elles battent le rappel des dévouements, les centralisent dans un comité à la mairie du 10ème, affichent des proclamations touchantes. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
11 avril 1871, page 217, Les enfants défiaient les hommes et les femmes

« Dans cette mêlée de dévouement, les enfants défiaient les hommes et les femmes. Les Versaillais, vainqueurs, en prirent 660, et beaucoup périrent dans la lutte des rues. Ils suivaient les bataillons aux tranchées, dans les forts, s’accrochaient aux canons. Quelques servants de la Porte Maillot étaient des enfants de 13 à 14 ans. En rase campagne, ils faisaient des folies de bravoure. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
12 avril 1871, page 217, c’est la femme forte, dévouée, tragique, sachant mourir comme elle aime

André Léo, d’une plume éloquente, expliquait la Commune, sommait le délégué à la Guerre d’utiliser « la sainte fièvre qui brûle le cœur des femmes. » Une jeune Russe de grande naissance, instruite, belle, riche, qui se faisait appeler Dimitrieff, fut la Théroïgne de cette révolution. Toute peuple de geste et de cœur cette Louise Michel, institutrice au XVIIe arrondissement. Douce et patiente aux petits enfants qui l’adoraient, pour la cause du peuple, la mère devenait lionne. Elle avait organisé un corps d’ambulancières qui soignaient les blessés sous la mitraille. Elles allaient aussi dans les hôpitaux disputer leurs chers camarades aux religieuses revêches, et l’œil des mourants se ranimait au murmure de ces douces voix qui parlaient de République et d’espoir.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
13 avril 1871, pages 222, 223, 224, Ces gens qui se sont battus contre les Prussiens puis contre les Versaillais avec le plus grand courage, n’avaient pas la guerre dans leur génie, ils haïssaient le militarisme, les guerres de conquête, et parc dessus tout la guerre civile

Tous ces officiers généraux ne reçurent qu’un ordre : « Défendez-vous. » De plan général, il n’y en eut pas. Il n’y eut jamais de conseil général de défense. Les hommes furent très souvent abandonnés à eux-mêmes, sans soins ni surveillance. Peu ou point de roulement. Tout l’effort portait sur les mêmes. Tels bataillons restaient vingt, trente jours aux tranchées, dénués du nécessaire, tels demeuraient continuellement en réserve. Si quelques intrépides s’endurcissaient au feu au point de ne plus vouloir rentrer, d’autres se décourageaient, venaient montrer leurs vêtements pouilleux, demandaient du repos ; les chefs étaient forcés de les retenir, n’ayant personne pour les remplacer.

Cette incurie tua vite la discipline. Les hommes braves ne voulurent relever que d’eux seuls, les autres esquivèrent le service. Les officiers firent de même, ceux-ci quittant leur poste pour aller au feu du voisin, ceux-là abandonnant. La cour martiale que présidait Rossel voulut punir. On se plaignit à la Commune de sa sévérité. Longuet dit qu’il n’avait pas « d’esprit politique ». La Commune cassa ses arrêts, commua en trois mois d’emprisonnement une condamnation à mort. Rossel se retira et fut remplacé par Gois.

(…) Avant la fin d’avril, pour tout œil exercé, l’offensive promise par Cluseret est impossible. Au dedans, des hommes actifs, dévoués, s’épuisent en luttes énervantes contre les bureaux, les comités, les sous-comités, les mille rouages prétentieux d’administrations rivales et perdent une journée à se faire délivrer un canon. Aux remparts, quelques artilleurs criblent les lignes de Versailles, et, sans demander autre chose que du pain et du fer, ne quittent leurs pièces qu’enlevés par les obus. Les forts aux casemates défoncées, aux embrasures pulvérisées, répondent à l’averse des hauteurs. Les braves tirailleurs, à découvert, vont surprendre les lignards dans leurs trous. Ces dévouements, ces héroïsmes vont s’éteindre dans le vide. On dirait une chaudière de machine, dont toute la vapeur fuirait par cent issues.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :
14 avril 1871, pages 225, 226, Nourrir chaque jour Paris assiégé :

Deux délégations n’exigeaient que de la bonne volonté : les subsistances et les services publics ou municipaux. L’approvisionnement se faisait par la zone neutre où M. Thiers, qui s’efforçait d’affamer Paris, ne pouvait empêcher les denrées de se présenter ; la plupart des équipes étant restées à leur poste, les services municipaux ne souffrirent pas trop.

Quatre délégations : les finances, la guerre, la sûreté générale, les relations extérieures voulaient des aptitudes spéciales. Trois devaient exposer la philosophie de cette Révolution : l’enseignement, la justice, le travail et l’échange. Tous les délégués, hors un seul, Léo Frankel, ouvrier bijoutier, étaient des lettrés de la petite bourgeoisie.

La commission des finances, c’était Jourde, ce jeune comptable qui s’était révélé le 18 mars d’une dextérité rare. Très fin, enthousiaste aussi, avec une extrême facilité de parole, il avait conquis l’amitié de son collègue Varlin. Le premier problème de chaque matin était de nourrir trois cents ou trois cent cinquante mille personnes. Sur les 600 000 ouvriers travaillant chez un patron ou chez eux que renfermait Paris en 1870-71, il n’y en avait d’occupés que 114 000 environ dont 62 500 femmes. Il fallait ensuite alimenter les différents services. Versailles, on l’a vu, n’avait laissé dans les caisses que 4 658 000 francs et Jourde voulait conserver intacts les 214 millions de titres trouvés au ministère des finances. Il y avait bien la plantureuse Banque de France ; on s’était interdit d’y toucher. La délégation en était réduite pour faire vivre et défendre Paris aux recettes des administrations : télégraphes, postes, octrois, contributions directes, douanes, halles et marchés, tabacs, enregistrement et timbre, caisse municipale, chemin de fer.

(…)

Pendant que la Commune obtenait juste de quoi ne pas mourir, la Banque de France, acceptait 257 630 000 francs de traites tirées sur elle par Versailles pour combattre Paris.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

La prise en mains de la direction des affaires publiques 

15 avril 1871, pages 226, 227 Réorganiser le service des Postes, transformer en même temps le recrutement et les salaires, innover dans les méthodes

« Les services étaient tenus par des ouvriers ou le prolétariat des employés. Partout on suffit avec le quart des employés ordinaires.

Le directeur des postes, Theisz, un ciseleur, trouva le service désorganisé, les bureaux divisionnaires fermés, les timbres cachés ou emportés, le matériel, cachets, voitures, etc. détourné, la caisse mise à sec. Des affiches apposées dans les salles et les cours ordonnaient aux employés de se rendre à Versailles sous peine de révocation. Theisz agit vite et énergiquement. Quand les employés inférieurs arrivèrent comme d’habitude pour le départ il les harangua, discuta, fit fermer les portes. Peu à peu on se rallia. Quelques employés socialistes aidèrent. Les premiers commis reçurent la direction des services. On ouvrit les bureaux divisionnaires et, en quarante-huit heures, la levée et la distribution des lettres pour Paris furent réorganisées. […] Un conseil supérieur fut institué qui augmenta les traitements des facteurs, gardiens de bureaux, chargeurs, abrégea le surnumérariat, décida que les aptitudes des travailleurs seraient constatées dorénavant par voie d’épreuves et d’examen. »

« La Monnaie fabriqua les timbres-poste, dirigée par Camélinat, monteur en bronze. Comme à l’hôtel des Postes, le directeur et les principaux employés de la Monnaie avaient parlementé, puis disparu. Camélinat, aidé de quelques amis, fit continuer les travaux et, chacun apportant son expérience professionnelle, des améliorations dans le matériel, des méthodes nouvelles furent introduites. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

La prise en mains de la direction des affaires publiques

16 avril 1871, page 228, Réorganiser l’Assistance publique

« Un homme de grand mérite, Treilhard, ancien proscrit de 1851, réorganisa cette administration barbarement disloquée. Des médecins, des agents du service avaient abandonné les hospices. […] Des employés faisaient attendre nos blessés devant la porte des hôpitaux ; des médecins, des sœurs, prétendaient les faire rougir de leurs glorieuses blessures. Treilhard y mit bon ordre. Pour la seconde fois, depuis 1792, les malades et les infirmes trouvèrent des amis dans leurs administrateurs et bénirent la Commune qui les traitait en mère. Cet homme de cœur et de tête, qui fut assassiné par les Versaillais, le 24 mais, dans la cour de l’Ecole polytechnique, a laissé un rapport très étudié sur la suppression des bureaux de bienfaisance qui enchaînent le pauvre au gouvernement et au clergé. Il proposait de les remplacer par un bureau d’assistance dans chaque arrondissement, sous la direction d’un bureau communal. »

« Les services étaient tenus par des ouvriers ou le prolétariat des employés. Partout on suffit avec le quart des employés ordinaires.

Le directeur des postes, Theisz, un ciseleur, trouva le service désorganisé, les bureaux divisionnaires fermés, les timbres cachés ou emportés, le matériel, cachets, voitures, etc. détourné, la caisse mise à sec. Des affiches apposées dans les salles et les cours ordonnaient aux employés de se rendre à Versailles sous peine de révocation. Theisz agit vite et énergiquement. Quand les employés inférieurs arrivèrent comme d’habitude pour le départ il les harangua, discuta, fit fermer les portes. Peu à peu on se rallia. Quelques employés socialistes aidèrent. Les premiers commis reçurent la direction des services. On ouvrit les bureaux divisionnaires et, en quarante-huit heures, la levée et la distribution des lettres pour Paris furent réorganisées. […] Un conseil supérieur fut institué qui augmenta les traitements des facteurs, gardiens de bureaux, chargeurs, abrégea le surnumérariat, décida que les aptitudes des travailleurs seraient constatées dorénavant par voie d’épreuves et d’examen. »

« La Monnaie fabriqua les timbres-poste, dirigée par Camélinat, monteur en bronze. Comme à l’hôtel des Postes, le directeur et les principaux employés de la Monnaie avaient parlementé, puis disparu. Camélinat, aidé de quelques amis, fit continuer les travaux et, chacun apportant son expérience professionnelle, des améliorations dans le matériel, des méthodes nouvelles furent introduites. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

La prise en mains de la direction des affaires publiques

17 avril 1871, page 228, Tout cela mené à bien par « des hommes qui n’étaient pas de la carrière »

« La télégraphie, l’enregistrement et les domaines, habilement dirigés par l’honnête Fontaine ; les services des contributions, remis entièrement sur pied par Faillet et Combault ; l’Imprimerie Nationale, que Debock et Alavoine réorganisèrent, administrèrent avec dextérité ; et les autres services rattachés aux Finances, réservés d’ordinaire à la haute bourgeoisie, furent maniés avec habileté et économie – le maximum des traitements (6000 francs) ne fut jamais atteint – par des hommes qui n’étaient pas de la carrière et ce ne fut pas un de leurs moindres crimes aux yeux de la bourgeoisie versaillaise. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

La prise en mains de la direction des affaires publiques

Pages 228, 229, En revanche, hélas, le désordre règne au service de la Guerre et le chaos à l’Intendance

  • « Le service de la Guerre était une chambre obscure où tout le monde se heurtait. Les officiers, les gardes encombraient les bureaux du ministère, réclamant des munitions, des vivres, se plaignant de n’être pas relevés. On les renvoyait à la Place, d’abord gouvernée par le colonel Henry Prodhomme, puis par Dombrowski. A l’étage inférieur, le Comité Central, installé par Cluseret, s’agitait en séances diffuses, blâmait le délégué, s’amusait à créer un insigne, recevait les mécontents, demandait des situations à l’état-major général, prétendait donner son avis sur les opérations militaires.

[…] Des pièces à longue portée restèrent, jusqu’au dernier moment, couchées le long des remparts, pendant que les forts n’avaient pour répondre aux canons monstres de la marine que des pièces de 7 et de 12 ; souvent les munitions envoyées n’étaient pas de calibre.

Le service de l’armement ne put fournir de chassepots tous les hommes en campagne et les Versaillais, après la victoire, en trouvèrent pourtant 285 000, plus 190 000 fusils à tabatière, 14 000 carabines Enfield. »

  • « Dès le début la Commune s’était plaint de l’Intendance. « C’est un véritable chaos», dit-on encore le 24 avril ; Delescluze signale le mauvais équipement des hommes, qui n’ont ni pantalons ni souliers ni couvertures ; le 28, les plaintes redoublent ; les frères May, intendants, sont révoqués et la Commune les flétrit par une note à l’Officiel; le 8 mai, Varlin dit que, faute de contrôle, plusieurs bataillons ont touché plusieurs fois leurs vêtements tandis que d’autres n’en reçoivent pas.

Aussi grand le désordre à la direction des barricades qui devaient former une seconde et une troisième enceinte. Leur construction était abandonnée à un fantaisiste qui semait les travaux sans méthode et contre les plans de ses supérieurs.

Les autres services allaient de même, sans principes arrêtés, sans délimitation, les rouages engrenant à faux ».

Tout ceci coûtera très cher à la Commune et affaiblira de façon terrible la défense de Paris devant l’armée versaillaise.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 233, Au-dessus de toutes ces fautes, l’idée d’humanité planait 

« Au-dessus de toutes ces fautes, l’idée d’humanité planait, tant cette révolution populaire était foncièrement saine. »

Ainsi le Chef de la Sûreté de la Commune déclare :

« La Commune a envoyé du pain à 92 femmes de ceux qui nous tuent. Il n’y a pas de drapeau pour les veuves ; La République a du pain pour toutes les misères et des baisers pour tous les orphelins ».

« Assaillie de dénonciations, la Sûreté déclare qu’elle ne tiendra aucun compte de celles qui sont anonymes. « L’homme, disait l’Officiel, qui n’ose signer une dénonciation sert une rancune personnelle et non l’intérêt public.

Absolu fut le respect des prisonniers. Le 9 avril, la Commune repoussa sans discussion la proposition Blanchet de rendre aux otages les mauvais traitements infligés par Versailles aux prisonniers fédérés ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 240, 241, Qui parlera donc pour le peuple ? – La délégation du Travail et de l’Échange 

« Le délégué, Léo Frankel, se fit assister par une commission d’initiative composée de travailleurs. Des registres de renseignements pour les offres et les demandes d’ouvrages furent ouverts dans les arrondissements. Sur la demande de beaucoup d’ouvriers boulangers, la délégation fit supprimer le travail de nuit, mesure d’hygiène autant que de morale. Elle prépara un projet de liquidation du Mont de Piété, un décret concernant les retenues sur les salaires [visant à les interdire], et appuya le décret relatif aux ateliers fermés par leurs propriétaires [visant à en faire la propriété collective d’associations coopératives ouvrières].

[…] « Il est bien entendu qu’à la liquidation du Mont de Piété doit succéder une organisation sociale qui donne aux travailleurs des garanties réelles de secours et d’appui en cas de chômage. L’établissement de la Commune commande de nouvelles institutions réparatrices qui mettent le travailleur à l’abri de l’exploitation du capital ».

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 235, Tout acte d’arbitraire sera suivi d’une destitution

La préfecture et la délégation de la Justice affirmèrent encore leur humanité en améliorant le régime des prisons dont tout le personnel, à l’exception des seuls directeurs, avait été conservé. De son côté, la Commune s’efforçant de garantir la liberté individuelle, décréta le 14 avril que toute arrestation serait notifiée immédiatement au délégué à la Justice et qu’aucune perquisition ne serait faite sans un mandat régulier. Des gardes nationaux, mal informés, ayant arrêté des individus réputés suspects, la Commune déclara, dans l’Officiel, que tout acte d’arbitraire serait suivi d’une destitution et d’une poursuite immédiate. Un bataillon qui cherchait des armes à la compagnie du gaz, s’était cru autorisé à saisir la caisse. La Commune fit immédiatement rapporter la somme et lever les scellés. Le commissaire de police qui arrêta Gustave Chaudey, accusé d’avoir ordonné le feu le 22 janvier — arrestation maladroite car il défendait dans le Siècle la cause parisienne — avait saisi l’argent du prisonnier ; la Commune destitua le commissaire et inséra sa destitution à l’Officiel. Pour éventer les abus de pouvoir, elle ordonna, le 23, une enquête sur l’état des détenus et les motifs de leur détention et reconnut à tous ses membres le droit de visiter les prisonniers.

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 235, 236, La justice douce de la Commune

Cette bourgeoisie qui courba la tête sous les trente mille arrestations et les lettres de cachet de l’Empire, qui applaudit aux cinquante mille arrestations de Mai et aux milliers de perquisitions qui suivirent, hurla des années après les quarante ou cinquante perquisitions, les treize ou quatorze cents arrestations faites pendant la Commune. Elles ne dépassèrent pas ce chiffre, en deux mois de lutte ; encore les deux tiers des détenus, des réfractaires, ou des insulteurs de rue, ne furent emprisonnés que quelques jours, certains quelques heures.

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 236, 237, Par toute l’Europe, la classe ouvrière buvait avidement les nouvelles de Paris

Dès le début de la Commune, la province lui avait demandé des délégués.

La délégation se contenta d’envoyer quelques rares émissaires, sans connaissance des milieux, sans autorité. Elle fut même exploitée par des traîtres qui empochèrent son argent et livrèrent leurs instructions à Versailles.

La délégation n’expédia qu’un nombre assez restreint de documents ; un résumé éloquent et vrai de la révolution parisienne ; deux manifestes aux paysans, l’un de Mme André Léo, simple, chaleureux, très à la portée des campagnes : « Frère, on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. Ce que je demande, tu le veux aussi ; l’affranchissement que je réclame, c’est le tien… Ce que Paris veut en fin de compte, c’est la terre au paysan, l’outil à l’ouvrier. » Ces bonnes semences étaient emportées par des ballons libres, laissant échapper de distance en distance les imprimés. Combien se perdirent, ne tombèrent pas dans le sillon.

Cette délégation, créée uniquement pour l’extérieur, oublia à peu près le reste du monde. Par toute l’Europe, la classe ouvrière buvait avidement les nouvelles de Paris, combattait de cœur avec la grande ville devenue sa capitale, multipliait les meetings, les processions, les adresses. Ses journaux, pauvres pour la plupart, luttaient courageusement contre les calomnies de la presse bourgeoise. Le devoir de la délégation était d’alimenter ces auxiliaires précieux. Elle ne fit presque rien. Quelques journaux étrangers s’endettèrent jusqu’à sombrer pour soutenir cette Commune de Paris qui laissait tomber, faute de pain, ses défenseurs.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 240, Qu’en sera-t-il de l’école?

« On ne saurait rien de cette révolution en matière d’enseignement sans les circulaires des municipalités. Plusieurs avaient rouvert les écoles abandonnées par les congréganistes et les instituteurs de la ville, ou expulsé les frères qui étaient restés. Celle du 20ème habilla et nourrit les enfants, jetant ainsi les premières bases de ces caisses des écoles, si prospères depuis. La délégation du 4ème disait : ‘Apprendre à l’enfant à aimer et respecter ses semblables, lui inspirer l’amour de la justice, lui enseigner qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous, tels sont les principes de morale sur lesquels reposera désormais l’éducation communale’. ‘Les instituteurs des écoles et salles d’asile’ prescrivait la délégation du 17èmeemploieront exclusivement la méthode expérimentale et scientifique, celle qui part toujours de l’exposition des faits physiques, moraux, intellectuels’. On était encore loin d’un programme complet. »

Toutefois la Commune de Paris eut aussi le temps de proclamer le principe d’une éducation gratuite et laïque pour tous les enfants, de 6 ans à 15 ans, incluant la création d’écoles pour les filles. Elle inventa aussi de premières écoles professionnelles dans lesquelles les ouvriers étaient appelés à enseigner.

Un autre thème majeur était que chacun devait pouvoir passer librement de l’école à l’atelier, et développer son esprit en même temps que gagner sa vie : « Il faut qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrive avec passion, avec talent,  sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi. Il faut que l’artisan se délasse de son travail journalier par la culture des arts, des lettres ou des sciences, sans cesser pour cela d’être un producteur. »

Comme le soulignait Jacques Rougerie quand il écrivait en 1971 « Paris libre 1871 » : « Dans le court temps qui lui fut imparti, la Commune fit parfois autant, sinon plus, que la 3ème République ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 241, La révolution du 18 mars aurait plus fait pour le travailleur que jusqu’alors toutes les Assemblées bourgeoises de la France depuis le 5 mai 1789

Le décret qui abolissait les retenues sur les appointements et les salaires mettait fin à une des plus criantes iniquités du régime capitaliste, ces amendes étant infligées souvent sous le plus futile prétexte, par le patron lui-même qui se trouve ainsi juge et partie.

Le décret relatif aux ateliers abandonnés restituait à la masse dépossédée la propriété de son travail. Une commission d’enquête, nommée par les chambres syndicales, devait dresser la statistique et l’inventaire des ateliers abandonnés qui allaient revenir aux mains des travailleurs. Ainsi, « les expropriateurs devenaient à leur tour les expropriés. » Le XXe siècle verra cette révolution. Chaque progrès du machinisme la rapproche. Plus l’exploitation se concentre dans quelques mains, plus l’armée du travail se tasse et se discipline ; bientôt, la classe des producteurs, consciente et unie, ne trouvera plus devant elle qu’une poignée de privilégiés, comme la jeune France de 89. Le plus acharné révolutionnaire socialiste, c’est le monopolisateur.

Sans doute, ce décret contenait des lacunes et appelait de sérieuses explications, surtout à l’article des associations coopératives auxquelles devaient revenir les ateliers. Il n’était pas, non plus que l’autre, applicable à cette heure de bataille et il nécessitait une foule de décrets latéraux ; il donnait au moins quelque idée des revendications ouvrières, et, n’eût-elle à son avoir que la création de la commission du Travail et de l’Échange, la révolution du 18 mars aurait plus fait pour le travailleur que jusqu’alors toutes les Assemblées bourgeoises de la France depuis le 5 mai 1789.

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 245, 246, 247, Les 26 et 29 avril : Ralliement public des Francs-Maçons à la Commune, leurs bannières pour la première fois paraissent au soleil

« Les francs-maçons s’étaient réunis dans l’après-midi [du 26 avril] au théâtre du Châtelet. L’un d’eux ayant fait la motion d’aller planter les bannières maçonniques sur les remparts, mille applaudissements répondirent. Quelques opposants ne purent combattre cet enthousiasme et, séance tenante, on décida d’aller, bannière en tête, porter à l’Hôtel de Ville la grande résolution. La Commune reçut les délégués dans la cour d’honneur. ‘Si, au début, dit l’orateur Thirifocq, les francs-maçons n’ont pas voulu agir, c’est qu’ils tenaient à acquérir la preuve que Versailles ne voulait entendre aucune conciliation. Ils sont prêts aujourd’hui à planter leurs bannières sur les remparts. Si une seule balle les touche, les francs-maçons marcheront d’un même élan contre l’ennemi commun’. A cette déclaration, on applaudit, on s’embrasse ».

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Avril voit aussi une lutte acharnée pour obtenir l’adhésion de la province et démasquer la trahison et les mensonges de la Gauche

Page 276, Quel est le grand conspirateur contre Paris ? – La Gauche versaillaise

Le 19 mars, que reste-t-il à M. Thiers pour gouverner la France ? Il n’a ni armée, ni canons, ni les grandes villes. Elles ont des fusils, leurs ouvriers s’agitent. Si cette petite bourgeoisie qui fait accepter à la province les révolutions de la capitale suit le mouvement, imite sa sœur de Paris, M. Thiers ne peut lui opposer un véritable régiment. Bismarck avait bien offert de se substituer à lui ; c’eût été la fin de tout. »

Page 279, Beaucoup dans Paris, ne pouvant croire à une trahison aussi complète de la Gauche, l’adjuraient encore

Que faites-vous à Versailles quand Versailles fait bombarder Paris ? disait une adresse de la fin d’avril. Quelle figure pouvez-vous faire au milieu de ces collègues qui assassinent vos électeurs ? Si vous persistez à rester au milieu des ennemis de Paris, au moins ne vous faites pas leurs complices par votre silence… Quoi ! vous laissez M. Thiers écrire aux départements : « Les insurgés vident les principales maisons de Paris pour en mettre en vente les mobiliers », et vous ne montez pas à la tribune pour protester ? Quoi ! toute la presse bonapartiste et rurale peut inonder les départements d’articles infâmes où l’on affirme que dans Paris on tue, on viole, on vole, et vous vous taisez ! Quoi ! M. Thiers affirme que ses gendarmes n’assassinent pas les prisonniers : vous ne pouvez ignorer ces atroces exécutions et vous vous taisez ! Montez à la tribune, dites aux départements la vérité que les ennemis de la Commune leur cachent avec tant de soin… Mais nos ennemis sont-ils les vôtres ? »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Avril voit aussi une lutte acharnée pour obtenir l’adhésion de la province et démasquer la trahison et les mensonges de la Gauche

Page 279, Ces « calomnies purent bien étouffer l’action, non les angoisses de la province. De cœur, de volonté, les ouvriers de France étaient avec Paris » :

[…] Le 5 [avril] le conseil municipal de Lille, composé de notabilités républicaines, parla de conciliation, demanda à M. Thiers d’affirmer la République. De même celui de Lyon. Saint Ouen envoya des délégués à Versailles. Troyes déclara qu’il était ‘d’esprit et de coeur avec les héroïques citoyens qui combattaient pour leurs convictions républicaines’. Mâcon somma le Gouvernement et l’Assemblée de mettre fin à la lutte par la reconnaissance d’institutions républicaines. La Drôme, le Var, le Vaucluse, l’Ardèche, la Loire, la Savoie, l’Hérault, le Gers, les Pyrénées Orientales, vingt départements firent des adresses pareilles. Les travailleurs de Rouen déclarèrent qu’ils adhéraient à la Commune ; les ouvriers du Havre, repoussés par les républicains bourgeois, constituèrent un groupe sympathique à Paris.

Le 16, à Grenoble, six cents hommes, femmes et enfants, allèrent à la gare pour empêcher le départ des troupes et des munitions pour Versailles.

Le 18, à Nîmes, une manifestation, drapeau rouge en tête, parcourut la ville en criant : « Vive la Commune ! Vive Paris ! A bas Versailles ! »

Le 16, le 17 et le 18, à Bordeaux, des agents de police furent emprisonnés, des officiers frappés, la caserne d’infanterie fut criblée de pierres et on cria : « Vive Paris ! Mort aux traîtres ! »

Le mouvement gagna les classes agricoles. A Saincoin dans le Cher, à La Charité sur Loire, à Pouilly dans la Nièvre, des gardes nationaux en armes promenèrent le drapeau rouge. Cosne suivit le 18 ; Fleury sur Loire le 19. Le drapeau rouge flotta en permanence dans l’Ariège ; à Foix on arrêta les canons ; à Varilhes, on essaya de faire dérailler les wagons de munitions ; à Périgueux, les ouvriers de la gare saisirent les mitrailleuses ».

Page 247

« Millière avait organisé l’Alliance [républicaine des départements] par groupes départementaux et chacun d’eux s’efforçait d’éclairer sa région sur les événements de Paris, envoyait des circulaires, des prospectus, des délégués. Le 30 avril, tous les groupes, réunis dans la cour du Louvre, votèrent une adresse aux départements et vinrent à l’Hôtel de Ville ‘renouveler leur adhésion à l’oeuvre patriotique de la Commune de Paris’. »

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 246, 247, Les 26 et 29 avril : Ralliement public des Francs-Maçons à la Commune, leurs bannières pour la première fois paraissent au soleil

« […] L’intervention de cette puissance mystérieuse (la franc-maçonnerie) avait jeté un grand espoir dans Paris. Le 29 au matin, une foule énorme encombrait les abords du Carrousel, rendez-vous de toutes les loges. Malgré quelques francs-maçons qui avaient protesté par affiche, à dix heures, six mille frères, représentant 55 loges, étaient rangés dans le Carrousel. Six membres de la Commune les conduisirent à l’Hôtel de Ville, au milieu de la foule et des bataillons en haie. Une musique grave et d’un caractère rituel précédait le cortège ; des officiers supérieurs, les grands-maîtres, les membres de la Commune et les frères avec le large ruban bleu, vert, blanc, rouge ou noir, suivant le grade, suivaient, groupés autour de 65 bannières pour la première fois paraissant au soleil. Celle qui marchait en tête, la bannière blanche de Vincennes, montrait en lettres rouges la devise fraternelle et révolutionnaire ‘Aimons-nous les uns les autres’. Une loge de femmes surtout fut acclamée. »

« Une délégation de tous les vénérables planta les bannières depuis la porte Maillot jusqu’à la porte Bineau. La bannière blanche fut dressée au poste le plus périlleux, l’avancée de la Porte Maillot ; les Versaillais cessèrent leur feu. »

« Ce soir-là, le silence se fit de Saint Ouen à Neuilly.

Le lendemain les délégués [envoyés à Versailles] revinrent. M. Thiers les avait à peine reçus. Impatient, résolu à ne rien accorder, il ne voulait plus admettre de députation. En même temps les balles versaillaises trouaient les bannières. Les francs-maçons […] décidèrent d’aller au feu avec leurs insignes. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 247, Ce même 30 avril un bruit éclata sur la place : le fort d’Issy est évacué !

« Millière avait organisé l’Alliance [républicaine des départements] par groupes départementaux et chacun d’eux s’efforçait d’éclairer sa région sur les événements de Paris, envoyait des circulaires, des prospectus, des délégués. Le 30 avril, tous les groupes, réunis dans la cour du Louvre, votèrent une adresse aux départements et vinrent à l’Hôtel de Ville ‘renouveler leur adhésion à l’œuvre patriotique de la Commune de Paris’. »

Ce même 30 avril un bruit éclata sur la place : le fort d’Issy est évacué !

Pages 247, 248

« Sous le couvert de leurs batteries, les Versaillais, poussant leurs cheminements, avaient, dans la nuit du 26 au 27, surpris les Moulineaux d’où l’on pouvait gagner le parc d’Issy. Les jours suivants, 60 pièces de gros calibres concentrèrent leurs obus sur le fort, tandis que d’autres occupaient Vanves, Montrouge, les canonnières et l’enceinte. Issy répondait de son mieux, mais les tranchées que Wetzel ne savait pas commander étaient très mal tenues. Le 29, le bombardement redoubla et les projectiles fouillèrent le parc. A minuit, les Versaillais cessaient le feu et surprenaient les fédérés dans les tranchées. Le 30, le fort qui n’avait reçu aucun avis de cette évacuation se réveilla entouré d’un demi-cercle de Versaillais. »

[…]

« À cinq heures, Cluseret et La Cécilia arrivèrent à Issy avec quelques compagnies ramassées à la hâte. Elles se déployèrent en tirailleurs ; à huit heures, les fédérés rentrèrent dans le fort. Sous la porte d’entrée, un enfant, Dufour, auprès d’une brouette remplie de cartouches et de gargousses, était prêt à se faire sauter, croyant entraîner la coûte avec lui. Dans la soirée, Vermorel et Trinquet amenèrent d’autres renforts et les fédérés réoccupèrent toutes les positions ».

Chronologie de la Commune de Paris

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 276, 277, Quel est le plus grand conspirateur contre Paris? :  — la Gauche. 

Quel est le grand conspirateur contre Paris ? — La Gauche versaillaise.

Le 19 mars, que reste-t-il à M. Thiers pour gouverner la France ? Il n’a ni armée, ni canons, ni les grandes villes. Elles ont des fusils, leurs ouvriers s’agitent. Si cette petite bourgeoisie qui fait accepter à la province les révolutions de la capitale suit le mouvement, imite sa sœur de Paris, M. Thiers ne peut lui opposer un véritable régiment. Bismarck avait bien offert de se substituer à lui ; c’eût été la fin de tout. Pour subsister, contenir la province, l’empêcher d’arrêter les canons qui doivent réduire Paris, quelles sont les seules ressources du chef de la bourgeoisie ? Un mot et une poignée d’hommes. Le mot : République ; les hommes : les chefs traditionnels du parti républicain.

Que les ruraux épais aboient au seul nom de République et refusent de l’insérer dans leurs proclamations, M. Thiers, autrement rusé, s’en remplit la bouche et, tordant les votes de l’Assemblée [1], le donne pour mot d’ordre. Aux premiers soulèvements, tous ses fonctionnaires de province reçoivent la même formule : « Nous défendons la République contre les factieux. »

C’était bien quelque chose. Mais les votes ruraux, le passé de M. Thiers, juraient contre ces protestations républicaines et les anciens héros de la Défense n’offraient plus caution suffisante. M. Thiers le sentit et il invoqua les purs des purs, les chevronnés, que l’exil nous avait rejetés. Leur prestige était encore intact aux yeux des démocrates de province. M. Thiers les prit dans les couloirs, leur dit qu’ils tenaient le sort de la République, flatta leur vanité sénile, les conquit si bien qu’il s’en fit un bouclier, put télégraphier qu’ils avaient applaudi les horribles discours du 21 mars. Quand les républicains de la petite bourgeoisie provinciale virent le fameux Louis Blanc, l’intrépide Schœlcher et les plus célèbres grognards radicaux, insulter le Comité Central, eux-mêmes ne recevant de Paris ni programme, ni émissaires capables d’échafauder une argumentation, ils se détournèrent, on l’a vu, laissèrent éteindre le flambeau allumé par les ouvriers.

Pages 248, 249, 250, Cette panique d’Issy fit le Comité de Salut public

« Le 28 avril, à la fin de la séance, Jules Miot, une des plus belles barbes de 48, s’était levé pour demander « sans phrases » la création d’un Comité de salut public ayant autorité sur toutes les commissions et capable de « faire tomber la tête des traîtres ». Comme on le pressait d’indiquer ses raisons, il répondit solennellement qu’« il croyait ce Comité nécessaire ». Tout le monde était d’accord pour fortifier le contrôle et l’action, la seconde Commission exécutive s’étant montrée aussi impuissante que la première ; mais que signifiait ce mot de Comité de salut public, parodie du passé, épouvantail à nigauds ? Il hurlait dans cette révolution prolétarienne. […]

Le compte rendu de cette séance parut, très écourté, à l’Officiel, qui inséra pourtant les votes motivés. Les amis de la Commune, les braves des tranchées, des forts, de la bataille, apprirent alors qu’il y avait une minorité à l’Hôtel de Ville. Elle s’affirmait juste au moment où Versailles démasquait ses batteries du sud. Cette minorité qui comprenait, à dix exceptions près, les plus intelligents, les plus éclairés de la Commune, ne put jamais s’encadrer dans la situation. L’illusion générale était qu’on durerait, à tel point qu’on prorogea de trois ans le remboursement des dettes antérieures à la Commune ; la minorité, exagérant encore, ne voulut jamais comprendre que la Commune était une barricade ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 278, Depuis la naissance des Assemblées françaises, on ne vit banc de Gauche aussi ignominieux

( les )luminaires de l’Extrême-Gauche, Louis Blanc, Schœlcher, Edmond Adam, et autres célèbres démocrates qui estampillaient la parole de M. Thiers. Ces docteurs voulaient bien admettre que la cause de Paris était juste en principe, mais ils la déclaraient mal engagée, compromise dans un combat criminel. Trop peu courageux pour dire avec le Proudhon de 48 : « Il faut tuer l’enfant pour sauver la mère », ils déshonoraient l’enfant. Louis Blanc, qui avait toute sa vie jappé, — très innocemment du reste, contre la société — se trouvait des dents contre les communeux qui l’avaient, assurait-il, condamné à mort : « Avec qui, disait-il aux délégués, traiter dans Paris ? Les gens qui s’y disputent le pouvoir sont des fanatiques, des imbéciles ou des coquins, sans parler des intrigues bonapartistes et prussiennes [2]. « Et toute sa troupe se rengorgeant : « Est-ce que nous ne serions pas à Paris si Paris était dans le droit ? »

(…)

Beaucoup dans Paris ne pouvant croire à une trahison aussi complète de la Gauche, l’adjuraient encore. « Que faites-vous à Versailles, quand Versailles fait bombarder Paris ? disait une adresse de la fin d’avril. Quelle figure pouvez-vous faire au milieu de ces collègues qui assassinent vos électeurs ? Si vous persistez à rester au milieu des ennemis de Paris, au moins ne vous faites pas leurs complices par votre silence… Quoi ! vous laissez M. Thiers écrire aux départements : Les insurgés vident les principales maisons de Paris pour en mettre en vente les mobiliers, et vous ne montez pas à la tribune pour protester !.. Quoi ! toute la presse bonapartiste et rurale peut inonder les départements d’articles infâmes où l’on affirme que dans Paris on tue, on viole, on vole, et vous vous taisez !… Quoi ! M. Thiers peut affirmer que ses gendarmes n’assassinent pas les prisonniers : vous ne pouvez ignorer ces atroces exécutions et vous vous taisez ! Montez à la tribune, dites aux départements la vérité que les ennemis de la Commune leur cachent avec tant de soin… Mais nos ennemis sont-ils les vôtres ! »

Appel inutile que la lâcheté de la Gauche versaillaise sut tourner. Louis Blanc tartufa : « O guerre civile ! Affreuse lutte ! Le canon gronde ! On tue, on meurt et ceux qui dans l’Assemblée donneraient volontiers leur vie pour voir résoudre d’une manière pacifique ce problème sanglant, sont condamnés au supplice de ne pouvoir faire un acte, pousser un cri, dire un mot !… » Depuis la naissance des Assemblées françaises, on ne vit banc de Gauche aussi ignominieux. Les coups, les insultes, dont on couvrait les prisonniers ne purent tirer une protestation à ces députés parisiens.

 

Page 254, La nomination de Rossel comme délégué à la Guerre

« La Commune manda Rossel. Il vint le 2 mai et passa une sorte d’examen. L’antédiluvien Miot lui demanda quels étaient ses antécédents démocratiques. « Je ne vous dirai pas, répondit Rossel, que j’ai profondément étudié les réformes sociales, mais j’ai horreur de cette société qui vient de livrer si lâchement la France. J’ignore ce que sera l’ordre nouveau du socialisme ; je l’aime de confiance, il vaudra toujours mieux que l’ancien. » Il entra ensuite dans le sujet, donna des explications sur le fort d’Issy, exposa son projet de formation de régiments en homme du métier, d’une parole sobre, parfois si heureuse que l’assemblée fut séduite. « Vos explications franches ont satisfait la Commune, lui dit le Président, soyez assuré de son concours sans réserve ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 256, 257, La terrible surprise du Moulin-Saquet

À la Commune, « on s’interpelle encore [au sujet du Comité de salut public], lorsque Mortier arrive et raconte la surprise du Moulin-Saquet. Fatigués, mal commandés, les fédérés se gardaient mal contre les surprises. La plus terrible venait d’avoir lieu dans la nuit du 3 au 4 à la redoute du Moulin-Saquet occupée à ce moment par cinq cents hommes. Ils dormaient sous la tente quand les Versaillais, ayant enlevé les sentinelles, s’étaient introduits dans la redoute et avaient égorgé une cinquantaine de fédérés. Les soldats avaient déchiqueté les cadavres, emmené cinq pièces de canons et deux cents prisonniers. Le commandant du 55ème était accusé d’avoir livré le mot d’ordre.

[…] « Pendant qu’on se gourmait à l’Hôtel de Ville, Versailles triomphait du massacre du Moulin-Saquet, M. Thiers annonçait « cet élégant coup de main » – écrivit un de ses officiers – dans une dépêche facétieuse où il disait que « on avait tué deux cents hommes, les autres s’enfuyant aussi vite que leurs jambes pouvaient les porter, que telle était la victoire que la Commune pourrait annoncer dans ses bulletins ». Les prisonniers amenés à Versailles furent assaillis par cette tourbe qui accourait à tous les convois couvrir de coups et de crachats les défenseurs de Paris. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 258, La défense du fort d’Issy resta aux mains vaillantes de deux hommes de cœur, l’ingénieur Rist et Julien, commandant du 141ème bataillon – 11ème arrondissement.

Voici quelques notes de leur journal :

« 4 mai – Nous recevons des balles explosives qui éclatent avec un bruit de capsule. Les fourgons n’arrivent plus ; les vivres sont rares et les obus de 7, nos meilleures pièces, vont manquer. Les renforts promis tous les jours ne se montrent pas – Deux chefs de bataillons ont été trouver Rossel. Il les a reçus très mal et leur a dit qu’il serait en droit de les fusiller pour avoir abandonné leur poste. Ils ont exposé notre situation. Rossel a répondu qu’un fort se défend à la baïonnette ; il a cité l’ouvrage de Carnot. Cependant il a promis des renforts – Les francs-maçons viennent planter une bannière sur nos remparts. Les Versaillais l’abattent – Nos ambulances sont combles ; la prison et le corridor qui y conduit sont bourrés de cadavres ; il y en a plus de trois cents. Un omnibus d’ambulance arrive dans la soirée. Nous y empilons le plus possible de nos blessés. Dans le trajet du fort au village d’Issy, les Versaillais le criblent de balles. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 259, 260, Journal de Rist et de Julien commandant la défense du fort d’Issy 

« 5 mai – Le feu de l’ennemi ne cesse pas une minute. Nos embrasures n’existent plus ; les pièces du front répondent toujours – A deux heures, nous recevons dix fourgons d’obus de 7. – Rossel est venu. Il a regardé longuement les travaux versaillais. – Les Enfants perdus qui servent les pièces du bastion 5 perdent beaucoup de monde ; ils restent solides à leur poste. Il y a maintenant, dans les cachots, des cadavres jusqu’à deux mètres de hauteur. – Toutes nos tranchées, criblées par l’artillerie, ont été évacuées. La tranchée des Versaillais est à 60 mètres de la contrescarpe. Ils avancent de plus en plus. Les précautions nécessaires sont prises en cas d’attaque cette nuit. Toutes les pièces des flancs sont chargées à mitraille. Nous avons deux mitrailleuses au-dessus des terre-pleins pour balayer à la fois le fossé et les glacis. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 260, Journal de Rist et de Julien commandant la défense du fort d’Issy 

« 6 mai – La batterie de Fleury nous envoie régulièrement ses six coups toutes les cinq minutes – On vient d’apporter à l’ambulance une cantinière qui a reçu une balle dans le côté gauche de l’aine. Depuis quatre jours, il y a trois femmes qui vont au plus fort du feu relever les blessés. Celle-ci se meurt et nous recommande ses deux petites enfants. – Plus de vivres. Nous ne mangeons que du cheval. – Le soir, le rempart est intenable ».

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Page 260,  Journal de Rist et de Julien commandant la défense du fort d’Issy 

« 7 mai – Nous recevons jusqu’à dix obus par minutes. Les remparts sont totalement à découvert. Toutes les pièces, sauf deux ou trois, sont démontées. – Les travaux versaillais nous touchent presque. – Il y a trente cadavres de plus. – On vient de nous apprendre la mort de Wetzel ; les uns disent qu’il a reçu une balle dans le dos*. – Nous sommes au moment d’être enveloppés… »

*Wetzel fut en réalité tué d’une balle en pleine tête alors qu’il chargeait une pièce d’artillerie. Sa mort fut constatée à l’hôpital du Val de Grâce où il avait été transporté ;

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Chute du fort d’Issy / Ultimatum de Thiers

 Page 263

« [Le fort d’Issy] râlait depuis le matin. Tout homme qui apparaissait aux pièces était mort. Sur le soir, les officiers se réunirent et reconnurent qu’on ne pouvait tenir ; leurs hommes chassés de tous côtés par les obus se massaient sous la voûte d’entrée ; un obus du Moulin de Pierre tomba au milieu et en tua seize. Rist, Julien et plusieurs qui voulaient, malgré tout, s’obstiner dans ces débris, furent forcés de céder. Vers sept heures, l’évacuation commença. Le commandant Lisbonne, d’une grande bravoure, protégea la retraite qui se fit au milieu des balles. »

Page 261

« M. Thiers accompagnait ses obus d’une proclamation : « Parisiens, le Gouvernement ne bombardera pas Paris comme les gens de la Commune ne manqueront pas de vous dire. Il tirera le canon… Il sait, il aurait compris si vous ne lui aviez fait dire de toutes parts, qu’aussitôt que les soldats auront franchi l’enceinte, vous vous rallierez au drapeau national. » Et il invitait les Parisiens à lui ouvrir les portes. Que va faire la Commune devant cet appel à la trahison ? »

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Page 287, Delescluze remplace Rossel qui démissionne

« Brunel déposa et se plaignit vivement de l’incurie qui avait paralysé la défense [du village d’Issy]. Pour toute réponse, on l’arrêta.

Il ne disait que trop vrai. Le désordre de la Guerre rendait la résistance chimérique. Delescluze n’avait apporté que son dévouement. D’un caractère faible, malgré son apparente raideur, il était à la merci de l’état-major dirigé maintenant par Henry Prodhomme qui avait survécu à tous ses chefs. Le Comité central, fort des divisions de la Commune, s’imposait partout, publiait des arrêtés, ordonnançait les dépenses sans le contrôle de la commission militaire. Les membres de la commission, hommes intelligents mais de la minorité, se plaignirent au Comité de salut public qui les remplaça par des romantiques. La dispute continua tout de même et si violente que le bruit d’une rupture entre l’Hôtel de Ville et le Comité central se répandit dans les régions.

Les Versaillais cheminaient toujours. »

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Page 285, L’incurie de la défense de Paris reste la même

« Le 10, à l’avènement du nouveau Comité de salut public, la situation militaire de la Commune n’avait pas changé de Saint Ouen à Neuilly où l’on se fusillait sur place ; elle devenait grave à partir de la Muette. La batterie de Montretout, celle de Meudon, le Mont Valérien, couvraient Passy d’obus et entamaient profondément le rempart. Les tranchées des Versaillais couraient de Boulogne à la Seine. Leurs tirailleurs serraient le village d’Issy et occupaient les tranchées entre le fort et celui de Vanves qu’ils cherchaient à couper de Montrouge. L’incurie de la défense restait la même. Les remparts, depuis la Muette jusqu’à la porte de Vanves, étaient à peine armés ; les canonnières soutenaient presque seules le feu de Meudon, de Clamart, du Val Fleury.

Le premier acte du nouveau Comité fut d’ordonner la démolition de la maison de M. Thiers, suggérée par Arthur Arnould. Cette étourderie valut au bombardeur un petit palais que l’Assemblée rurale lui vota le lendemain. »

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Page 297, Démolition de la maison de Thiers « le bombardeur »

« Vous savez que M. Thiers fait tirer sur les ambulances de la Commune. Il a répondu aux protestations de la Société internationale de secours aux blessés : « La Commune n’ayant pas adhéré à la convention de Genève, le Gouvernement de Versailles n’a pas à l’observer ». La Commune a adhéré à la convention ; elle a mieux fait, elle a respecté les lois de l’humanité en présence des actes les plus sauvages. M. Thiers continue de faire achever les blessés ».

Page 298

« Un membre de la Commune, Lefrançais, visite l’ambulance du docteur Demarquay, l’interroge sur l’état des blessés. « Je ne partage pas vos idées, réponde le docteur, et je ne puis désirer le triomphe de votre cause ; mais je n’ai jamais vu de blessés conserver plus de calme et de sang-froid pendant les opérations. J’attribue ce courage à l’énergie de leur conviction ». La plupart des malades demandent anxieusement quand ils pourront reprendre leur service. Un jeune homme de dix-huit ans, amputé de la main droite, lève l’autre et s’écrie : « J’ai encore celle-là au service de la Commune ! » On dit à un officier mortellement blessé que la Commune vient de faire remettre sa solde à sa femme et à ses enfants. « Je n’y avais pas droit », répond-il. – Voilà, mon ami, les brutes alcoolisées qui d’après Versailles forment l’armée de la Commune. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Dix églises s’ouvrent et la révolution monte en chaire

Page 298

« L’académie des sciences tient toujours ses séances du lundi. Ce ne sont pas les ouvriers sui ont dit « « La république n’a pas besoin de savants… »

Page 299

« Voici la soirée de la grande ville. Les théâtres s’ouvrent. Le Lyrique donne une grande représentation musicale au profit des blessé, et l’Opéra-Comique en prépare une autre. […] Le Gymnase, le Châtelet, le Théâtre-Français, l’Ambigu-Comique, les Délassements trouvent la foule tous les soirs.

Allons aux spectacles que Paris n’a pas vus depuis 1793. Dix églises s’ouvrent et la révolution monte en chaire. Au Vieux Gravilliers, Saint-Nicolas des Champs s’emplit d’un puissant murmure. Quelques becs de gaz tremblotent dans le fourmillement de la foule, et, là-bas, noyé dans l’ombre des arceaux, le Christ est décoré de l’écharpe communeuse. Le seul foyer lumineux, le bureau en face de la chaire, est aussi drapé de rouge. L’orgue et la foule rugissent la Marseillaise. La pensée de l’orateur, surchauffée par ce milieu fantastique, s’échappe en invocations que l’écho répète comme une menace. Il traite de l’événement du jour, des moyens de défense. Les membres de la Commune sont fort malmenés. Les votes de la réunion seront portés demain à l’Hôtel de Ville. Les femmes quelquefois demandent la parole ; elles ont aux Batignolles un club spécial où s’élèvent des paroles de guerre et de paix. S’il sort peu d’idées précises de ces réunions enfiévrées, combien y trouvent provision de flamme et de courage. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 287, Le fort de Vanves est pris et occupé par les troupes versaillaises

« Dans la nuit du 13 au 14, le fort de Vanves qui ne tirait plus que de rares bordées s’éteignit encore et ne put se rallumer. La garnison, coupée de partout, se retira par les carrières de Montrouge. Les Versaillais occupèrent ce qui restait du fort. Il y eut encore ovation à Versailles.

Le 16, Paris n’eut plus un seul défenseur, depuis la rive gauche jusqu’au Petit-Vanves, où deux mille fédérés environ étaient campés sous le commandement de La Cécilia et de Lisbonne. Ils essayèrent sur le village d’Issy un retour qui fut repoussé.

[Le malheureux 16ème arrondissement] était pris de front, de flanc, en enfilade, par près de cent bouches à feu. On voulut bien songer alors un peu à la défense intérieure. Delescluze étendit les pouvoirs des trois généraux jusqu’aux quartiers de la ville qui confinaient à leurs commandements, licencia le bataillon des barricadiers qui ne rendaient pas de services, confia ses travaux au génie militaire. La plupart de ses arrêtés furent lettre morte ou se croisèrent avec d’autres. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 234, Refus définitif de Thiers d’échanger les otages aux mains de la Commune contre la libération de Blanqui

« [Le] prétexte fut que Blanqui donnerait une tête à l’insurrection, [le] but de pousser à l’exécution des otages [détenus par la Commune] : la mort du gallican [l’archevêque] Darboy était double profit, ouvrant une succession convoitée par les ultramontains, et faisant un martyr. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

La révolution de tous les prolétaires

Page 297

« [La] bravoure de [Dombrowski] est de fatalisme. Il ne reçoit aucun renfort, malgré ses dépêches à la Guerre, croit la partie perdue et le dit trop souvent. C’est là mon seul reproche ; vous n’attendez pas que je justifie la Commune d’avoir accepté le concours des démocrates étrangers. Est-ce que celle-ci n’est pas la révolution de tous les prolétaires ? Est-ce que dans toutes leurs guerres les Français n’ont pas ouvert les rangs aux grands cœurs de toutes les nations qui voulaient combattre avec eux ? »

Page 293

« Cherchez, trouvez un appel au meurtre, au pillage, une ligne cruelle dans ces journaux communeux, chauffés par la bataille, et comparez maintenant avec les feuilles versaillaises qui demandent les fusillades en masse dès que les troupes auront vaincu Paris ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Pages 290, 291, La colonne Vendôme est jetée à terre en tant que symbole du militarisme et des guerres de conquête de l’armée napoléonienne

« L’ingénieur chargé de la démolition s’était engagé, « au nom du club positiviste de Paris », par un contrat longuement motivé, à exécuter « le 5 mai, jour anniversaire de la mort de Napoléon, le jugement prononcé par l’histoire et édicté par la Commune de Paris contre Napoléon Ier ». On lui débauchait souvent ses ouvriers et l’opération fut retardée jusqu’au 16. Ce jour, à deux heures, une foule remplissait les rues voisines fort inquiètes, car on prédisait toutes sortes de catastrophes. L’ingénieur, lui, s’était déclaré par son contrat « en mesure d’éviter tout danger ». Il avait scié la colonne horizontalement, un peu en dessous du piédestal. Une entaille en biseau devait faciliter la chute en arrière sur un vaste lit de fagots, de sable et de fumier accumulé dans l’axe de la rue de la Paix.

Un câble attaché au sommet de la colonne s’enroule autour du cabestan fixé à l’entrée de la rue. […] Les musiques jouent la Marseillaise. Le cabestan vire, la poulie se brise, un homme est blessé. Des bruits de trahison circulent. Une nouvelle poulie est bientôt installée. A cinq heures un officier paraît sur la balustrade, agite longtemps un drapeau tricolore et le fixe à la grille. A cinq heures et demie, le cabestan vire de nouveau. Quelques minutes après, César oscille et son bras chargé de victoires bat vainement le ciel. Le fût s’incline, d’un coup se brise en l’air avec des zigzags et s’abat sur le sol qui gémit. La tête de Bonaparte roule et le bras homicide gît détaché du tronc. Une acclamation comme d’un peuple délivré jaillit de milliers de poitrines. On se rue sur les ruines et salué de clameurs enthousiastes, le drapeau rouge se plante sur le piédestal.

Le peuple voulait se partager les débris de la colonne. La Monnaie s’y opposa sous raison de gros sous. L’un des premiers actes de la bourgeoisie victorieuse fut de relever ce bâton énorme, symbole de sa souveraineté. Pour remonter le maître sur son piédestal, il fallut un échafaudage de 30 000 cadavres. Comme les mères du Premier Empire, combien de celles de nos jours n’ont pu regarder ce bronze sans pleurer. »

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Pages 303, 304, Égalité instaurée entre enfants légitimes et naturels, entre épouses et concubines, en matière de droits et de pensions

Le 16 mai, le Figaro avait publié « un programme de massacre : « On demande formellement que tous les membres de la Commune, du Comité central et autres institutions de même forme ; que tous les journalistes qui ont lâchement pactisé avec l’émeute triomphante ; que tous les Polonais interlopes, tous les Valaques de fantaisie qui ont régné deux mois sur la plus belle et la plus noble ville du monde, soient, avec leurs aides de camp, colonels et autre fripouille à aiguillettes, conduits, après jugement sommaire, de la prison où on les aura enfermés, au Champ de Mars, où ils seront passés par les armes devant le peuple rassemblé. »

Paris lit tout cela et il en rit. Ces Versaillais lui font l’effet de maniaques à danse de Saint-Guy. Paris les blague. Il ne croira jamais que ces Seine-et-Oisillons, comme il les appelle, puissent être d’horribles vautours. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 305, La grande attaque s’annonce

« Le 18 au soir, les Versaillais surprennent les fédérés de Cachan en venant à eux aux cris de : Vive la Commune ! On parvient cependant à prévenir leur mouvement sur les Hautes Bruyères. Les moines dominicains qui, de leur couvent d’Arcueil, avertissent l’ennemi, sont arrêtés et conduits au fort de Bicêtre. Aux Hautes Bruyères, un espion de vingt ans qui reconnaît avoir porté aux Versaillais le plan des positions fédérées est jugé par un conseil de guerre, condamné à mort et, sur son refus de faire des révélations, exécuté : la troisième exécution militaire sous la Commune. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 240, Décret de laïcisation de l’enseignement

« On ne saurait rien de cette révolution en matière d’enseignement sans les circulaires des municipalités. Plusieurs avaient rouvert les écoles abandonnées par les congréganistes et les instituteurs de la ville, ou expulsé les frères qui étaient restés. Celle du 20ème habilla et nourrit les enfants, jetant ainsi les premières bases de ces caisses des écoles, si prospères depuis. La délégation du 4ème disait : ‘Apprendre à l’enfant à aimer et respecter ses semblables, lui inspirer l’amour de la justice, lui enseigner qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous, tels sont les principes de morale sur lesquels reposera désormais l’éducation communale’. ‘Les instituteurs des écoles et salles d’asile prescrivait la délégation du 17ème ‘emploieront exclusivement la méthode expérimentale et scientifique, celle qui part toujours de l’exposition des faits physiques, moraux, intellectuels’. On était encore loin d’un programme complet. »

La Commune de Paris eut aussi le temps de proclamer le 19 mai le principe d’une éducation gratuite et laïque pour tous les enfants, de 6 ans à 15 ans, incluant la création d’écoles pour les filles.

Elle inventa les premières écoles professionnelles dans lesquelles les ouvriers étaient appelés à enseigner.

Chacun devait pouvoir passer librement de l’école à l’atelier, et développer son esprit en même temps que gagner sa vie : « Il faut qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrive avec passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi. Il faut que l’artisan se délasse de son travail journalier par la culture des arts, des lettres ou des sciences, sans cesser pour cela d’être un producteur. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

L’ouverture du drame définitif

Page 306

« Nous sommes à la période de l’immense lassitude. Les compétitions, les disputes ont détrempé toutes les énergies. De quoi s’occupe la Commune le 19 ? Des théâtres. […] Jusqu’à ce qu’un membre s’écrie : « Ce n’est pas quand on nous tire dessus que nous devons parler ici de théâtres ! »

Pages 306, 307

« A peine reste-t-il deux mille hommes d’Asnières à Neuilly, quatre mille peut-être de la Muette au Petit-Vanves. Les bataillons assignés aux postes de Passy ne s’y trouvent pas ou se tiennent dans leurs maisons, loin du rempart ; beaucoup de leurs officiers ont disparu. Du bastion 36 au 70, précisément au point d’attaque, il n’y a pas vingt artilleurs. Les sentinelles sont absentes.

Est-ce trahison ? – Les conspirateurs se vantèrent quelques jours après d’avoir dégarni ces remparts. Le bombardement effroyable suffit à expliquer ce désert. Il y a cependant une incurie coupable. Dombrowski, las de lutter avec l’inertie de la Guerre, ne visite plus aussi assidûment les postes, va trop à son quartier de la place Vendôme. Le Comité de salut public, informé de l’abandon des remparts, se borne à prévenir la Guerre au lieu d’accourir.

Le samedi 20 mai, à une heure de l’après-midi, les batteries de brèche se démasquèrent. Trois cents pièces de marine et de siège confondant leurs détonations annoncèrent l’ouverture du drame définitif ».

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Les troupes de Versailles entrent dans Paris par la Porte de Saint Cloud

Pages 310, 311

« Pendant qu’au milieu de Paris confiant, quelques hommes, sans soldats, sans informations, dressent la première résistance, les Versaillais continuent de s’infiltrer par la fissure des remparts. Vague sur vague, leur flot croît, silencieux, voilé par la nuit qui tombe. Peu à peu ils s’accumulent entre le chemin de fer de ceinture et les fortifications. […]

À onze heures, Assi s’engage dans la rue Beethoven dont les lumières sont éteintes. Son cheval refuse d’avancer ; il vient de glisser dans de larges mares de sang ; le long des murs, des gardes nationaux semblent dormir. Des hommes s’élancent, le saisissent. Ce sont les Versaillais tapis en embuscade. Ces dormeurs, ce sont des cadavres de fédérés.

Les Versaillais égorgent dans Paris, et Paris l’ignore ».

« Les volontaires tiennent jusqu’à minuit sur la ligne du chemin de fer. N’ayant reçu aucun renfort, ils se replient sur la Muette. »

« À trois heures du matin, les Versaillais inondent Paris par les cinq plaies béantes des portes de Passy, Auteuil, Saint-Cloud, Sèvres et Versailles. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Les barricades commencent à pousser

Pages 313, 314

« C’est maintenant la guerre des barricades [disent les soldats fédérés désorganisés par l’entrée des Versaillais dans Paris], chacun dans son quartier ! »

La proclamation de Delescluze les a déliés.

Elle débute ainsi, cette proclamation d’un autre âge, affichée sur trop de murs :

« Assez de militarisme ! Plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné… Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes. Mais quand il a un fusil à la main, du pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stratégistes de l’école monarchique. »

Quand le ministre de la Guerre flétrit toute discipline, qui voudra désormais obéir ? Quand il méprise toute méthode, qui voudra raisonner ? Et l’on verra des centaines d’hommes refuser de quitter le pavé de leur rue, ignorer le quartier voisin qui agonise, attendre immobiles que l’ennemi continue de les cerner. »

Page 322

« En avant la pioche et le pavé. Que la terre s’amoncelle d’où sortira l’obus. Que les matelas précipités des maisons abritent les combattants ; on ne dormira plus désormais. Que les pierres, cimentées de haine, se pressent les unes contres les autres, comme des poitrines d’hommes sur le champ de bataille. Le Versaillais a surpris sans défense, qu’il rencontre demain Saragosse et Moscou.

Tout passant est requis : « Allons, citoyen ! un coup de main pour la République ». A la Bastille et sur les boulevards intérieurs on trouve par places des fourmilières de travailleurs ; les uns creusent la terre, d’autres portent les pavés. Des enfants manient des pelles et des pioches aussi grandes qu’eux. Les femmes exhortent, supplient les hommes. La délicate main des jeunes filles lève le dur hoyau. Il tombe avec un bruit sec et fait jaillir l’étincelle. Il faut une heure pour entamer sérieusement le sol, on y passera la nuit. »

Pages 319, 321

« [La barricade] de la rue de Rivoli qui protégera l’Hôtel de Ville, se dresse à l’entrée du square Saint Jacques, au coin de la rue Saint Denis. Cinquante ouvriers du métier bâtissent, maçonnent, et des gamins brouettent la terre du square. Cet ouvrage de plusieurs mètres de profondeur, haut de six, avec des fossés, des embrasures, une avancée, aussi solide que la redoute Saint-Florentin qui avait pris des semaines, fut terminée en quelques heures, exemple de ce qu’aurait pu, pour défendre Paris, un effort intelligent produit en temps utile. […]

On barricade les grandes voies d’accès ; la Chapelle, les Buttes-Chaumont, Belleville, Ménilmontant, la rue de la Roquette, la Bastille, les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir, la place du Château d’Eau, les grands boulevards surtout à partir de la porte Saint-Denis ; sur la rive gauche, le boulevard Saint-Michel dans toute sa longueur, le Panthéon, la rue Saint-Jacques, les Gobelins, et les principales avenues du XIIIème. Beaucoup de ces défenses resteront ébauchées. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Montmartre est pris, Dombrowski mortellement blessé

Page 321

« Des messagers arrivent à l’Hôtel de Ville de tous les points de la lutte. Un grand nombre de gardes et d’officiers, courbés sur de longues tables, expédient les ordres et les dépêches. […] Nul le découragement ou même l’inquiétude ; partout une activité presque gaie ».

Page 326

« [Les] milliers d’hommes qui entourent complètement Montmartre, aidés de l’artillerie établie sur le terre-plein de l’enceinte, mettent trois heures à gravir des positions défendues par quelques douzaines de tirailleurs.

A peine installé à Montmartre, l’état-major versaillais commence des holocaustes aux mânes de Lecomte et de Clément Thomas. Quarante-deux hommes, trois femmes et quatre enfants ramassés au hasard sont conduits au numéro 6 de la rue des Rosiers, contraints de fléchir les genoux, tête nue, devant le mur au pied duquel les généraux ont été exécutés le 18 mars. Puis on les tue. Une femme qui tient son enfant dans ses bars refuse de s’agenouiller, crie à ses compagnons : « Montrez à ces misérables que vous savez mourir debout ».

Les Batignolles et Montmartre virent les premiers massacres en masse. Juin 48 avait eu ses fusillades sommaires d’insurgés pris sur la barricade. Mai 71 connut les carnages à la fantaisie du soldat. »

Page 327

« Sur l’autre rive de la Seine, la résistance est plus heureuse. Varlin arrête les Versaillais au carrefour de la Croix-Rouge qui restera célèbre dans la défense de Paris. Les rues aboutissantes ont été barricadées et cette place d’armes ne sera abandonnée que lorsque les obus et l’incendie en auront fait une ruine.

Sur les bords du fleuve, rues de l’Université, Saint-Dominique, de Grenelle, les 67è, 135è, 138è, 147è bataillons soutenus par les Enfants perdus et les Tirailleurs résistent obstinément.

Rue de Rennes et sur les boulevards voisins, les Versaillais s’épuisent. La rue Vavin, où la résistance est merveilleuse, retardera pendant deux jours l’invasion du Luxembourg. »

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Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray (extraits) :

Page 339, Prise du Quartier Latin par les Versaillais

« Trois barricades s’étagent devant le Panthéon. La première à l’entrée de la rue Soufflot ; elle vient d’être prise ; la seconde au milieu ; la troisième va de la mairie du Vème à l’Ecole de Droit. Varlin et Lisbonne, à peine échappés de la Croix Rouge et de la rue Vavin, sont venus là rencontrer encore l’ennemi. Malheureusement, les fédérés ne veulent aucun chef, s’immobilisent dans la défensive et, au lieu d’attaquer la poignée de soldats aventurés à l’entrée de la rue Soufflot, laissent à la troupe le temps d’arriver.
Le gros des Versaillais atteint le boulevard Saint-Michel par les rues Racine et de l’Ecole de Médecine que les femmes ont défendues. Le pont Saint Michel ayant cessé son feu faute de munitions, les soldats peuvent traverser en masse le boulevard et arriver jusqu’auprès de la place Maubert. A droite ils ont remonté la rue Mouffetard. A quatre heures, la Montagne Sainte Geneviève, à peu près abandonnée, est envahie de tous les côtés. Ses rares défenseurs s’éparpillent. Ainsi tomba le Panthéon, presque sans lutte comme Montmartre. Comme à Montmartre aussi les massacres commencèrent immédiatement. Quarante prisonniers furent, l’un devant l’autre, fusillés rue Saint Jacques, sous les yeux et par les ordres d’un colonel. »

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Pages 292 à 301 – ici 300 et 301, Le Paris de la Commune n’a plus que trois jours à vivre. Gravons dans l’histoire sa lumineuse physionomie

« Une heure du matin. Paris dort de son souffle régulier. Voilà, mon ami, le Paris des brigands. Vous l’avez vu penser, pleurer, combattre, travailler ; enthousiaste, fraternel, sévère au vice. Ses rues, libres pendant le jour, sont-elles moins sûres dans le silence de la nuit ? Depuis que Paris fait lui-même sa police, les crimes ont diminué. Où voyez-vous la débauche victorieuse ? Ces ouvriers qui pourraient puiser dans des milliards vivent d’une paye ridicule en comparaison de leurs salaires habituels. Les riches hôtels de ceux qui les bombardent sont à leur merci : où sont les pillards ?

Reconnaissez-vous ce Paris sept fois mitraillé depuis 1789, plus éprouvé aujourd’hui que l’Alsace et la Lorraine qu’il a défendues ; ce Paris d’incapitulables, toujours debout pour le salut de la France ? Où est son programme, avez-vous dit ? Eh, cherchez-le devant vous, non dans cet Hôtel de Ville qui bégaie. Ces remparts fumants, ces explosions d’héroïsme, ces femmes, ces hommes de toutes les professions confondues, tous les ouvriers de la terre applaudissant à notre combat, toutes les bourgeoisies coalisées contre nous, ne disent-ils pas la pensée commune et qu’on lutte ici pour la République et l’avènement d’une société sociale. Repartez vite pour raconter ce Paris. Dites à la province républicaine : « Ces prolétaires parisiens combattent pour vous qui serez les persécutés de demain. S’ils succombent, vous serez, vous, pendant de longues années ensevelis sous leurs funérailles ».

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